Nous partageons totalement les propos de Naomi Klein devant les membres d’UNIFOR l’automne dernier, lutter contre les changements climatiques revient à lutter pour des mesures qui sont des revendications historiques du mouvement syndical et communautaire. Mettre la question climatique au haut de l’ordre du jour implique un réinvestissement dans les services publics, le rétablissement d’une justice fiscale et la renégociation des accords de libre-échange. En ce sens, la lutte aux changements climatiques permet de réinvestir le terrain idéologique et de réaffirmer la nécessité de l’action collective, en bénéficiant cette fois de la climatologie comme assise scientifique inébranlable.
En finir avec l’austérité
Selon Sir Nicolas Stern, auteur du rapport le plus cité sur l’économie des changements climatiques, les pays développés doivent réduire leur empreinte carbone de 60 à 80 % d’ici 2050. Ceci nécessite de transformer en profondeur le secteur des transports pour le faire passer de transports essentiellement individuels à des transports essentiellement collectifs et électrifiés. En contrepartie, pour Stephen Harper, l’État doit jouer un rôle minimal dans l’économie afin de laisser le champ libre aux corporations et que l’allocation des biens et services se fasse selon les forces du marché.
Or, les changements climatiques imposent une action vigoureuse de l’État pour adapter nos infrastructures et ainsi permettre une économie et une société à faible bilan carbone. Des investissements publics considérables devront être engagés dans les prochaines années, et dans un délai rapproché, pour que le transport en commun (métro, autobus, trains, autopartage, etc.) soit efficace et accessible à tous. Il faudra également investir massivement dans les énergies renouvelables pour remplacer le charbon, le pétrole et le gaz naturel dans la production d’électricité et mieux isoler les bâtiments pour économiser l’énergie.
Le secteur des sables bitumineux devra aussi faire l’objet d’une révision majeure. Étant responsable de 2% du PIB, le secteur fournit présentement de l’emploi à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le contexte climatique et l’ampleur du défi nous obligent à mettre en place une réorientation massive de ces travailleurs à travers des programmes de reconversion industrielle verte.
La bonne nouvelle est que pour 1M$ d’investissements dans le secteur du pétrole et gaz, le même 1M$ investi dans les secteurs verts génère de 4 à 7 fois plus d’emplois, tel que démontré dans étude du Centre canadien de politiques alternatives de 2012.
Bref, la tâche peut paraître colossale, mais le fait que les secteurs verts soient fortement générateurs d’emplois montre que cette transition n’engendrera pas la récession que les acteurs économiques traditionnels évoquent souvent. De nouveaux investissements dans des infrastructures vertes peuvent donc être à la base d’une relance économique et d’une sortie de l’austérité et de la morosité économique ambiante qui caractérisent le bilan du gouvernement conservateur.
Mettre en œuvre ce plan de réinvestissement massif dans les transports en commun de même que dans les énergies renouvelables implique d’aller chercher de nouvelles sources de revenus. Par conséquent, lutter contre les changements climatiques, c’est aussi lutter contre l’austérité et lutter contre l’idée qu’il n’y a plus de marge de manœuvre possible pour de nouveaux revenus fiscaux.
Plusieurs solutions existent pour financer ces infrastructures. Nous pourrons tirer des revenus d’une éventuelle taxe sur le carbone, qui consacre le principe de pollueur-payeur. On pourrait aussi taxer davantage les institutions financières, mais également, de façon plus générale, exiger une contribution supplémentaire des grandes entreprises. Cela permettra de s’attaquer au déséquilibre fiscal entre les ménages et les entreprises, que le gouvernement a sciemment aggravé par ses baisses d’impôt qui ne profitent qu’aux mieux nantis.
Protéger les emplois d’ici
Lutter contre les changements climatiques, c’est aussi lutter pour le dynamisme économique de la quasi-totalité des secteurs du Canada, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas liés aux sables bitumineux. Avec l’exploitation à tous crins des sables bitumineux, on assiste à une pression à la hausse de la valeur du dollar canadien, ce qui heurte de plein fouet la capacité des entreprises à exporter leur production. En misant sur des investissements en faveur d’une diversification de l’économie canadienne, on donne une bouffée d’air à des secteurs exportateurs fortement générateurs d’emplois.
Par ailleurs, on a vu dans le contexte de la production des sables bitumineux l’assouplissement des lois sur les travailleurs étrangers temporaires, qui souffrent de conditions de travail bien inférieures aux standards canadiens, et qui viennent niveler par le bas les conditions de travail et les droits humains fondamentaux. Lutter contre les changements climatiques permettra de cesser ce nivellement par le bas et d’offrir des conditions de travail décentes à tous et toutes, qu’ils soient citoyens canadiens ou non. Cette lutte en faveur de l’égalité débordera du secteur pétrolier pour s’étendre aux secteurs agricoles, de l’aide à domicile et autres, où cette pratique a également cours.
De plus, lutter contre les changements climatiques, c’est remettre en question les accords de libre-échange. Outre qu’ils fragilisent plusieurs secteurs économiques canadiens mis en compétition avec des articles étrangers subventionnés, des accords comme l’ALENA et l’AÉCG mettent en péril l’adoption de normes de protection de l’environnement. Par exemple, les règles de l’ALENA ont déjà permis à l’entreprise Ethyl Corp. d’obtenir près de 20 millions $ en compensation du gouvernement du Canada pour des profits perdus suite à l’interdiction d’un additif nocif pour la santé, le MMT. Ces mêmes règles permettent aujourd’hui à des entreprises de combustibles fossiles comme Lone Pine Resources de remettre en question le moratoire sur les gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, instauré par le gouvernement québécois pour protéger les sources d’eau potable, et lui permettent de poursuivre le gouvernement du Canada pour des profits non réalisés.
Finalement, la question des normes environnementales sur les produits importés est centrale si le Canada choisit d’adopter des standards environnementaux stricts, parce que sans celles-ci, toute juridiction qui choisit de faire preuve de leadership se voit pénalisée par des importations provenant de juridictions où de telles normes environnementales n’ont pas cours et où les coûts de production peuvent être plus faibles. La lutte aux changements climatiques permet donc de mettre au jour les effets pervers des accords de libre-échange et permet la révision de ces accords, au bénéfice non seulement du climat mais aussi des droits des travailleurs.
Réaffirmer les valeurs de la solidarité, notamment internationale
Les valeurs profondes du syndicalisme et des mouvements sociaux et communautaires, comme la préoccupation pour une justice sociale à l’échelle globale, sont aussi remises de l’avant par la lutte aux changements climatiques. La science climatique nous dit que les plus grands responsables du problème climatique, c’est-à-dire les pays développés, sont aussi ceux qui en souffriront le moins. À l’opposé, les pays en développement, qui ont un bilan d’émissions de GES somme toute faible en proportion de leur population, en subiront les pires contrecoups : les mesures d’adaptation aux tempêtes tropicales, aux inondations, etc. seront nécessairement moins accessibles aux pays en développement qu’aux pays développés. La lutte contre les changements climatiques et celles notamment contre l’expansion des sables bitumineux est aussi une lutte de solidarité internationale avec les communautés qui sont, et qui seront les plus affectées par les effets des changements climatiques.
Ainsi, les changements climatiques soulèvent l’enjeu de la justice climatique, par lequel on se demande si les pays développés, du fait d’avoir contribué historiquement à la majeure partie des changements climatiques, n’auraient-ils pas une responsabilité financière et de transfert technologique envers les pays en développement ?
La réflexion sur la justice climatique est aussi une réflexion féministe car les femmes, déjà les premières affectées par la pauvreté et l’exclusion, seront de facto les premières affectées par les changements climatique. La question de genre est fondamentale du point de vue de la justice climatique, car elle pose l’égalité des hommes et des femmes au coeur de cette quête de justice. C’est pourquoi, la jonction avec le mouvement féministe en lutte contre Harper demeure crucial.
Lutter contre les changements climatiques, c’est aussi lutter contre un programme où les revendications territoriales des autochtones sont réduites à n’être que des empêchements à l’exploitation maximale des ressources. Selon l’idéologie extractiviste, les droits de Premières nations sont ignorés, comme en fait foi l’augmentation vertigineuse du taux de cancers dans la communauté de Fort Chipewyan, située en aval des sables bitumineux. Des appels pour une enquête de santé publique approfondie restent sans réponse satisfaisante à ce jour. L’enjeu climatique impose le respect des Premières nations, et nous invite à apprendre de la sagesse autochtone, où les décisions de développement doivent tenir compte des sept générations à venir.
LIRE LA PREMIÈRE PARTIE : Harper et le péril climatique
LIRE LA TROISIÈME PARTIE : Pour une stratégie d’action commune
Alternatives participe à l’organisation de la rencontre préparatoire de l’Assemblée des mouvements sociaux sur les changements climatiques (RSVP) le 6 juin prochain à Montréal.