« J’aurai bien aimé terminer mes études secondaires, raconte Avhashoni Tshitimbi, 17 ans. Étudier, c’est beaucoup plus facile que de faire vivre une famille. » Avec sa sœur Tsitamune, 15 ans, ils s’occupent à temps plein de leurs sept frères et sœurs, depuis que leurs parents sont décédés du sida, l’an dernier.
Chef de famille
Chaque matin, dès l’aube, l’aîné de la famille marche 10 kilomètres pour se rendre à la rivière pêcher, pendant que ses deux frères, Nichetheni, 14 ans, et Musiwalo, 11 ans, cueillent des mangues dans le champ près de la maison familiale. Si la pêche est bonne, Avhashoni se rendra en après-midi au village pour essayer de vendre ses poissons et les fruits fraîchement cueillis. C’est le seul revenu dont la famille dispose, avec une partie de la maigre pension que reçoit leur grand-tante.
Avhashoni fait partie des quelque 183 000 orphelins de moins de 18 ans qui sont chef de famille, selon Statistics South Africa. Avec un quart de la population sud-africaine infectée par le VIH et la progression continue de l’épidémie, le phénomène ne peut que s’aggraver. Les prévisions les plus conservatrices avancées par l’ONUSIDA prévoient que d’ici 2010 un enfant sur trois aura perdu au moins un parent décédé du sida au Swaziland, au Zimbabwe et en Afrique du Sud.
Jesper Morch, porte-parole du South Africa United Children Fund, est catégorique : « C’est l’un des problèmes les plus graves auxquels sera confrontée l’Afrique du Sud au cours des prochaines années et c’est le problème contre lequel on est le moins préparé. » Il n’y a pas de structures en place dans les communautés pour prendre en charge ces orphelins, que l’on estime aujourd’hui à plus d’un million.
Les quelques organismes communautaires qui viennent en aide à ces enfants sont trop peu nombreux et souffrent d’un manque de financement chronique. L’organisation Gundo Community Development, qui vient en aide à 78 orphelins dans la région de Venda, au nord du pays, repose sur deux âmes charitables. Depuis maintenant deux ans, Tshifiwa Makhoshi et Mpho Nematei donnent leur temps et leur argent pour aider ces enfants.
Essayant de faire le maximum avec trois fois rien, le directeur de Gundo Community Development, M. Nematei, déplore le manque de soutien financier gouvernemental : « Nous faisons le travail du gouvernement en prenant ces enfants à charge, mais nous n’avons pas reçu un sou, malgré des demandes de financement répétées. »
0,1 % du budget
Le gouvernement du Congrès national africain (ANC) a pourtant débloqué des fonds l’an dernier correspondant à 1,6 million de dollars canadiens consacrés à la lutte contre la pauvreté chez les orphelins et le développement d’aide à domicile pour ces enfants qui sont souvent eux-mêmes atteints du virus. Un investissement bien timide, qui correspond en fait à moins de 0,1 % du budget national.
Le porte-parole du South Africa United Children Fund insiste : « La seule façon de gérer la situation de façon efficace est de favoriser une approche holistique et d’établir un modèle d’intervention qui peut être reproduit dans l’ensemble du pays. » Ainsi, un programme d’aide aux orphelins du sida devrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale visant la réduction du nombre de nouvelles infections et la prolongation de la vie des personnes déjà atteintes du VIH.
Préjugés
La stratégie actuelle du gouvernement vise la reconstruction du milieu familial, en encourageant la prise en charge des orphelins par un membre de la famille ou de la communauté. Mais pour cela, il faut d’abord venir à bout des préjugés. M. Nematei explique : « Ces enfants sont rejetés lorsque les membres de la communauté apprennent que leurs parents sont décédés du sida. On doit éduquer les gens afin d’encourager l’entraide. La population doit s’occuper de ses orphelins. »
La population noire d’Afrique du Sud qui, il n’y a pas si longtemps, s’est alliée pour renverser l’apartheid, doit encore une fois se serrer les coudes pour faire face au sida cette fois qui menace de décimer le pays en entier.