Au Québec, les enfants issus de familles à faible revenu sont trois fois plus susceptibles de souffrir d’obésité, selon une étude récente publiée dans le BMC Public Health. Ce phénomène n’est pas propre au Québec. À South Los Angeles, l’un des quartiers les plus défavorisés de la métropole, le conseil municipal a décrété en 2008 un moratoire d’un an sur l’ouverture de nouveaux établissements de restauration rapide pour contrer l’épidémie d’obésité qui atteint de plein fouet les enfants et les adolescents. La taxe sur les boissons sucrées, en vigueur en Belgique, au Danemark, en Finlande, au Pays-Bas et, dès janvier 2012, en France, s’inscrit dans le même combat.
Le prix élevé des fruits et légumes ainsi que la rareté des points de vente de produits frais dans certains quartiers sont les principales barrières à l’alimentation saine pour les familles ayant des ressources financières limitées. À Montréal, en 2005, le panier nutritif le plus cher se trouvait dans le territoire du CLSC des Faubourgs, un quartier défavorisé à proximité du centre-ville. À l’opposé des produits frais, la restauration rapide et les aliments préfabriqués sont offerts à bas coût et marquent le paysage des quartiers moins nantis. La question des déserts alimentaires mobilise une attention grandissante, comme en témoigne le Musée de New-York, où l’on pouvait voir cet été une exposition photographique intitulée Moveable Feast : Fresh Produce and the NYC Green Cart Program. Les Green Carts, une initiative du NYC Department of Health and Mental Hygiene, sont des comptoirs de fruits et de légumes qui se déplacent dans la ville, là où les besoins en produits frais sont criants.
À la rencontre de deux grands objectifs sociétaux contemporains, soit la sécurité alimentaire et le développement durable, certaines initiatives vont plus loin encore ; elles facilitent la consommation d’aliments produits localement pour les personnes à faible revenu. Suffit d’une visite furtive dans un grand supermarché pour s’apercevoir que le panier le moins cher est un panier d’aliments transformés aux origines non identifiées. Autrement dit, il s’agit d’un panier aux antipodes de tout ce que suggère la consommation responsable. Dans cette optique, les programmes d’achat local accessibles aux personnes à faible revenu ont le grand mérite d’élargir les frontières sociales et économiques de la consommation responsable. Et cela en plus de remédier aux déficits en fruits et légumes des foyers défavorisés.
À Montréal, l’organisme communautaire Santropol Roulant offre une part de ses récoltes, provenant de ses jardins sur les toits, à coût réduit pour les personnes à faible revenu. Ce projet est financé par des partenaires plus nantis du Roulant, qui acceptent de subventionner les paniers de légumes à prix réduit en payant un peu plus cher leurs propres paniers hebdomadaires. Par ailleurs, l’organisme a lancé cette année un « mini-marché » où la clientèle moins nantie paye à moitié-prix. Le Marché Solidaire Frontenac, situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, s’inscrit dans le même esprit que le Roulant. Né à la suite d’un colloque organisé en 2004 par la Table de concertation et d’intervention pour une garantie alimentaire locale (CIGAL), le Marché accueille des producteurs et artisans locaux à l’angle des rues Iberville et Ontario. De surcroît, le Marché Solidaire Frontenac coordonne le projet pilote des vélos triporteurs Fruixi, qui, à l’image des Green Carts new-yorkais, sillonnent les quartiers Ville-Marie et Plateau Mont-Royal pour élargir l’offre de fruits et légumes aux secteurs mal desservis.
L’un des plus importants organismes communautaires de sécurité alimentaire au Canada est le FoodShare Toronto. FoodShare Toronto considère que l’accès à une alimentation saine est un droit humain. Le programme Good Food Box de l’organisme consiste en un groupe d’achat qui s’approvisionne directement auprès de quelques vingt-cinq fermes de la région ainsi qu’à l’Ontario Food Terminal, un lieu que fréquentent la plupart des grossistes torontois. Conscient que cette formule n’est pas idéale pour les personnes qui ne peuvent acheter les boîtes de fruits et légumes sur une base régulière, l’organisme a mis sur pied les Good Food Markets. Les fruits et légumes achetés en grandes quantités par FoodShare sont ainsi revendus en vrac dans ces mini-marchés situés en zones défavorisées.
En 2011, FoodShare Toronto a formulé trois recommandations quant aux politiques fédérales en matière de sécurité alimentaire : la mise en place d’un programme national pour encourager les enfants à adopter une alimentation saine et locale à l’école et à la maison, l’instauration d’un seuil minimum qui garantisse l’investissement des provinces dans les filets sociaux (garderies abordables, soins de santé, logement social, etc.) et la création d’un ministère de la Sécurité alimentaire. À ce titre, l’Organisation mondiale des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) cite le Brésil comme un modèle pour ses politiques de sécurité alimentaire. En 2003, sous la présidence de Lula, un Ministère Spécial de la Sécurité Alimentaire et de la Lutte contre la Faim (MESA) fut édifié. L’objectif était de fournir un cadre institutionnel pour coordonner la stratégie nationale Zero Fome (Zéro Faim). L’une des facettes de cette stratégie consiste à subvenir aux carences alimentaires des plus démunis en s’approvisionnant auprès de fermes familiales locales, elles-mêmes souvent touchées par l’insécurité économique. Ainsi, le gouvernement achète annuellement aux fermes familiales jusqu’à 2 700$US de produits par ferme et redistribue les vivres dans le cadre de son programme contre la faim.
La sécurité alimentaire est une préoccupation qui ne date pas d’hier. Or, cette préoccupation s’articule aujourd’hui autour d’une redéfinition du système de production et de distribution alimentaire dans une perspective de justice sociale et de développement durable. Le slogan de FoodShare Toronto décrit bien l’enjeu lié à la justice sociale : « Good healthy food for All ». Quant à la question du développement durable, un constat s’impose : le système mondialisé de l’alimentation, auquel nous participons à chacune de nos visites dans les supermarchés, contribue à l’appauvrissement des agriculteurs de chez nous en raison d’une concurrence déloyale. On peut dire d’un trop grand nombre d’agriculteurs québécois que ce sont des personnes à faible revenu. Alors pour faire deux pierres d’un coup, les politiques de sécurité alimentaire devraient s’articuler autour de l’intérêt commun des consommateurs et des producteurs à faible revenu.
Crédit photo : Isabelle Mailhot-Leduc