Le nouvel Uruguay

lundi 29 novembre 2004, par Tania VACHON

Après l’élection d’Hugo Chavez au Venezuela, de Lula au Brésil, de Lucio Gutiérrez en Équateur et de Néstor Kirchner en Argentine, voilà que pour la première fois depuis 30 ans, la gauche uruguayenne est aussi au pouvoir.

Depuis 10 ans, le Frente Amplio, de Tabaré Vasquez, coalise les forces de gauche dans ce petit pays du cône sud, et occupe une place de plus en plus importante sur la scène politique uruguayenne. Lors des campagnes électorales de 1994 et 1999, la coalition avait déjà réussi à emporter respectivement 35 % et 45 % des suffrages. Cette fois, le 31 octobre, en portant au pouvoir Tabaré Vasquez et son parti, les Uruguayens ont mis un terme au bipartisme monopolisé jusque-là par le parti National dit Blanco, d’origine catholique et de tendance conservatrice, et par le parti Colorado, de tendance plutôt libérale, de Jorge Batlle Ibañez.

Le bilan économique du parti Colorado de Battle, qui dirigeait le pays depuis 2000, n’est pas reluisant : le taux de chômage se maintient autour de 15 %, et l’exode national s’élèverait à quelque 15 000 personnes par année, soit près de 500 000 depuis 20 ans. La dévaluation de 1999 au Brésil a rendu les produits uruguayens moins compétitifs et les épidémies ont eu un impact sur l’exportation de viande bovine vers l’Amérique du Nord. La crise argentine de 2001 est venue fragiliser un peu plus l’économie. Le retrait de l’épargne argentin des banques uruguayennes aura obligé le gouvernement à octroyer un important prêt aux institutions financières pour renflouer les caisses, augmentant d’autant la dette nationale.

Ce sont donc tant les succès de la gauche des pays voisins que le contexte socioéconomique de l’Uruguay qui auront permis à Vasquez et sa coalition de faire valoir leur programme plus à gauche et plus critique quant aux politiques néolibérales. Pour Gustavo Dans, du Réseau des organisations communautaires du MERCOSUR, cette victoire représente une opportunité pour freiner les politiques « impulsées par les vieux partis conservateurs, qui ont favorisé l’ouverture totale de l’économie durant les vingt dernières années, la concentration de la richesse et les privatisations qui ont été destructrices pour le secteur de la production nationale ».

Rupture avec le tout au

Se présentant comme « anti-impérialiste », le programme du Frente Amplio repose sur un principe
d’autodétermination nationale, dont les priorités sont l’amélioration des politiques sociales et productives, l’approfondissement de la démocratie, la transparence de l’État et l’intégration régionale. La grande priorité de Tabaré Vasquez demeure la résolution de la crise structurelle. À cet égard, les nouveaux gouvernements de l’Argentine et du Brésil ont déjà commencé à tourner le dos aux agences multilatérales de financement et aux politiques de marché néolibérales, qui ont provoqué un cycle de décroissance socioéconomique. L’élection de Vasquez viendra peut-être renforcer les projets de Parlement supranational et de création d’une monnaie commune en Amérique latine.

Pour Gustavo Dans, les pays voisins auront une incidence cruciale sur la politique interne et sur l’avenir de la coalition : « La négociation de la lourde dette externe et la façon dont on envisage l’insertion du pays dans la région et dans le monde vont conditionner les possibilités d’application du programme de la coalition de centre gauche. Entre les propositions et leur application, il y a un espace-temps que les voisins, spécialement l’Argentine, le Brésil et le Venezuela sont en train de parcourir. Ces pays constituent des sources d’inspiration et d’apprentissage permanents. »

Consultation populaire sur l’eau

La campagne sur l’eau a été l’un des thèmes centraux de la campagne électorale de Tabaré Vasquez. Plus de 65 % des électeurs ont approuvé le projet de réforme constitutionnelle pour garantir le contrôle des ressources hydrauliques du pays. Une façon de dire non aux politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui offrent des prêts aux pays du Sud qui envisagent de privatiser leur eau et les services afférents.

Mais encore faut-il que le pays dispose de mécanismes lui permettant de mettre en œuvre les changements souhaités. Gustavo Dans est préoccupé et questionne l’absence d’infrastructures facilitant le changement. « Il faudra la création d’instances de dialogue et de négociation collective qui donnent de l’espace à des organisations syndicales, aux entrepreneurs, aux universités et aux mouvements sociaux. »

L’alliance entre les mouvements sociaux et le gouvernement devient stratégique dans la recherche de solutions aux problèmes de pauvreté et d’exclusion. L’Amérique latine a payé cher son statut de laboratoire des expériences néolibérales. Malgré tout et au prix d’efforts de concertation, les partis de la gauche latino-américaine occupent de plus en plus l’espace politique. Reste à savoir si cette nouvelle Amérique latine relèvera le défi d’un nouveau genre de développement.


C’est en 1971 qu’a été formé le Frente Ampolio, alors organisation parapluie de plusieurs mouvements politiques de gauche. Ciblée par la répression durant la dictature de 1973 à 1985, c’est au retour de la démocratie que la coalition s’est constituée comme véritable alternative politique.

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