Le naufrage du libre-échange : bonne ou mauvaise nouvelle ?

mercredi 1er février 2017, par Claude Vaillancourt

La gauche s’est toujours opposée avec force aux accords de libre-échange. Autant le mouvement altermondialiste que des politiciens comme Bernie Sanders, Paul Magnette et Benoît Hamon ont dénoncé les méfaits de ces ententes conçues en secret dans l’intérêt des entreprises transnationales. Pourtant la charge la plus puissante contre le libre-échange est venue de là où on ne l’attendait pas. Donald Trump, président républicain des États-Unis, voudrait aujourd’hui tout remettre en cause. Faut-il s’en réjouir ou s’en désoler ?

Ce revirement arrive après que les élites politiques aient refusé pendant des années d’entendre des signaux d’alarme lancés par les populations affectées par la dégradation de la qualité des emplois.
Plutôt que de chercher des solutions à ce problème, les gouvernements ont voulu perpétuer ce qui provoque le mal : toujours plus de libre-échange et de circulation sans contraintes des capitaux, alors que les travailleurs restent pris, en majorité, dans le cadre rigide de leurs frontières.

Deux visions insatisfaisantes

Donald Trump veut revenir à un protectionnisme à l’ancienne, menaçant de rétablir des droits de douane et ne tenant compte que des seuls les intérêts de sa nation. À cela s’ajoute une volonté de choyer les entreprises en leur accordant de fortes baisses d’impôts et en dérèglementant autant qu’il se peut, tout en se lançant dans d’importantes dépenses publiques et une exploitation sans contrainte des ressources naturelles. Cette combinaison donne le vertige. Tout indique que de telles politiques entraineront le pays dans une crise des finances publiques, en plus d’une crise environnementale, dont les effets dépasseront les frontières des États-Unis.

Pour plusieurs pays, comme le Canada, la réponse à donner est de continuer à se lancer tête baissée dans le libre-échange avec des partenaires plus conciliants, sans le remettre en question. Devant une situation complexe, on n’offre que deux solutions simplistes et dangereuses : un protectionnisme pur et dur d’une part, et une ouverture sans contraintes des marchés d’autre part.

Une véritable réouverture des négociations de l’ALÉNA pourrait cependant permettre d’entrevoir d’intéressantes solutions. Il faudrait tout d’abord éliminer de cet accord — et de tous les autres accords de libre-échange — le tribunal d’arbitrage, qui soulève tant de controverses partout dans le monde.

Le Canada devrait demander aux États-Unis de renoncer à la clause de partage proportionnel (clause 605) qui oblige à fournir prioritairement le marché américain en hydrocarbure, selon les quantités exportées les années précédentes. Le Mexique devrait quant à lui reprendre le contrôle de son agriculture et limiter l’importation du maïs subventionné des États-Unis qui a décimé sa population paysanne.

Humaniser le commerce international

Le libre-échange ne devrait pouvoir se faire sans tenir compte des accords de l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui s’appliqueraient de façon contraignante et empêcheraient que les profits des entreprises se fassent au prix d’une grave dégradation des emplois. Les gouvernements devraient s’assurer non seulement de protéger efficacement les services publics, mais de pouvoir en créer de nouveaux, de nationaliser s’il le faut, ce qui est quasiment impossible dans le cadre des nouveaux accords. Il faudrait que les différents niveaux de gouvernements puissent utiliser les marchés publics pour renforcer l’économie locale, comme le permet d’ailleurs le populaire Buy American Act aux États-Unis.

L’agriculture devrait être exclue des accords commerciaux. Les États pourraient ainsi prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs producteurs, comme le système de gestion de l’offre. D’autres types d’agriculture pourraient être encouragés, des modèles à plus petite échelle, plutôt que de favoriser uniquement l’agro-industrie axée sur l’exportation et peu créatrice d’emploi. Ces politiques sont nécessaires pour préserver l’environnement, la qualité des produits et le tissu social des régions.

Les tarifs douaniers désormais très bas partout dans le monde rendent inutiles les accords abscons de milliers de pages négociés les portes closes. Les négociations devraient se concentrer sur des accords sectoriels concernant essentiellement les produits, en tenant compte des demandes des syndicats et des autres partenaires sociaux.

Mais en opposant un protectionnisme étroit à un libre-échange qui refuse de se réformer, on semble actuellement faire l’économie d’un véritable débat sur ce que doit être le commerce international, sur ses limites et sur la façon dont l’économie pourrait profiter à l’ensemble des populations. Le gouvernement canadien, plus particulièrement, semble être incapable de réfléchir en dehors d’un carcan idéologique très contraignant, et en se libérant de l’intérêt immédiat de certains lobbys.

La polarisation actuelle et des arguments fallacieux qui associent libre-échange à ouverture d’esprit, protectionnisme à relance économique, ne favorisent pas une bonne compréhension de la situation. Pourtant dans un monde qui souffre d’importantes inégalités sociales, l’occasion est plus belle que jamais de se pencher sur de véritables solutions économiques profitables pour tous.


Voir en ligne : Le Devoir


Claude Vaillancourt est Président d’ATTAC-Québec et auteur de L’empire du libre-échange (M Éditeur, 2014)

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