La semaine dernière, une coalition de huit organisations en environnement lançait une plateforme pour une réforme des politiques publiques québécoises en vue d’une « économie verte ». S’invitant dans la campagne électorale, ces environnementalistes de service ont présenté une série de solutions applicables par le gouvernement et l’industrie - si seulement ils en avaient la volonté - afin de concilier l’économie et l’environnement. On y parle de « prospérité durable », de « redevances » et de « gestion responsable de nos ressources naturelles ». En tant que militante et militant écologistes, ces termes nous font saigner des oreilles… et c’est pourquoi il nous importe de rappeler certains fondements de notre lutte.
D’abord, nous tenons à nous distancer de l’environnementalisme « équiterrien » qui prône un changement social « étapiste » (ex. : Chaque petit geste compte). Pourtant, l’urgence est là. L’alarme des changements climatiques a déjà sonné, la biodiversité dépérit à vue d’œil autour de nous - merci les OGM et la monoculture ! - et plus du tiers des populations humaines de la Terre n’ont pas accès à une eau de qualité. En apparence, ces faits semblent inquiéter les institutions gouvernementales qui tiennent périodiquement des sommets sur ces questions. Pourtant, au dernier Sommet sur le climat à Rio de Janeiro, une contradiction de plus en plus évidente pour le commun des mortels se dessine clairement : les impératifs de l’économie capitaliste mondialisée ne peuvent se conjuguer avec une approche responsable de l’environnement. Les groupes environnementaux présents se sont même étonnés de la stagnation du débat, qui fait du surplace depuis plus de 20 ans…
Sur le plan économique, il nous semble évident qu’un système fondé sur le productivisme et la croissance ne peut être viable à long terme. Comme l’expliquait un certain Marx, le capitalisme épuise autant la nature que l’être humain - par son travail -, étant donné qu’il les nécessite pour se reproduire, c’est-à-dire « produire du capital ». Or, la nature n’est pas une ressource nécessairement « renouvelable » et infinie comme plusieurs semblent le croire. Elle ne devrait d’ailleurs pas être comprise comme une « ressource », car cette vision justifie son instrumentalisation aux besoins des êtres humains sans prendre en compte la richesse des écosystèmes eux-mêmes. Par défaut, le capitalisme est un modèle économique qui nécessite l’exploitation de « ressources », qu’elles soient humaines ou naturelles, afin d’y dégager des profits aux bénéfices d’une élite. D’ailleurs, si vous êtes un homme blanc en Amérique du Nord, vous faites statistiquement partie de cette élite. Si nos propos sur le capitalisme vous choquent, c’est peut-être parce que vous voulez conserver vos privilèges.
Prôner une économie de croissance verte pour remplacer ce que certaines personnes appellent l’« économie brune » relève de la pure hypocrisie. Le capitalisme et son application signifient l’apartheid des populations proches des ressources qui sont ostracisées depuis l’arrivée des colonisateurs sur leur territoire. Que ce soit pour les Abitibiens jetés là par le gouvernement Duplessis comme cheap labor à l’industrie forestière ou les autochtones que Charest veut voir modelé-e-s en travailleuses et travailleurs modernes par le Plan Nord, l’exploitation est la seule constante de la prospérité des élites métropolitaines. On ouvre une mine à Malartic pour mettre des lingots d’or en banque à Montréal, Toronto ou New York. L’or n’est que valeur. Pourtant, la plateforme des groupes environnementaux et le Plan Vert de Québec solidaire ne parlent principalement que de l’augmentation des redevances dans une perspective de redistribution de richesse sans questionner la nécessité même de cette production. De même qu’il est décevant de voir la promotion du développement des soi-disant énergies vertes sans questionner notre consommation… Pourvu que ce soit « vert », réclame-t-on vainement en choeur…
Pour nous, la crise écologique actuelle est la plus importante menace pour l’humanité et son autodétermination. Par conséquent, elle nécessite un changement de cap radical qui ne pourra se faire sans tenir compte des positions des personnes qui habitent le territoire. En 2012, les Innuat ont fait savoir leur vive opposition au Plan Nord. Les Atikamekws ne veulent plus des coupes forestières qui ravagent leurs terres et leur mode de vie. Les Cris disent non au nucléaire et au ravage des monts Otish par le projet Matoush (exploitation de l’uranium au cœur des trois bassins versants les plus importants du Québec) et abondent dans le sens du mouvement pour un Québec sans uranium. Les municipalités de la Côte-Nord et de l’Abitibi-Témiscamingue sont aux prises avec une crise du logement provoquée par le boom minier qui sévit depuis quelques années. Encore une fois, pendant qu’une partie de cette population se remplit les poches, l’augmentation des loyers étouffe la portion plus démunie, statistiquement composée majoritairement de femmes monoparentales. Sur le terrain, la Coalition vigilance Plan Nord se met sur pied.
Bien que les environnementalistes prétendent se baser sur la mobilisation populaire du 22 avril, ils et elles ne sont aucunement impliqué-e-s dans les mouvements sociaux qui ont un réel rapport de force avec le gouvernement. Il n’est d’ailleurs aucunement mention des autochtones dans leurs recommandations. Tout au plus, les environnementalistes ont surfé sur la vague étudiante et récupéré certaines revendications populaires. Ils et elles parlent du territoire comme d’un mode de gestion : de façon détachée et économiste, sans se baser sur les besoins réels des communautés qui y habitent au quotidien. Ce ne sont pas 160 000 emplois dont il est question, mais bien de la capacité des écosystèmes à soutenir la vie. Ces emplois ne sont pas une société, mais la relation entre les êtres humains et leur territoire l’est. C’est au nom de cette économie « productrice d’emplois » que les environnementalistes s’apprêtent à flusher les sociétés et leurs habitats.
Deux jours avant leur grande marche du 22 avril, la foule estudiantine prenait d’assaut le palais du Plan Nord, au son de slogans à saveur anticolonialistes et de mise en garde au « Plan Mort ». Les élus libéraux de Trois-Pistoles censurent les écologistes et les étudiant-e-s, mais ce n’est pas grave pour l’environnementalisme. En refusant de se mêler aux forces sociales qui modèlent la vie des peuples, les environnementalistes prennent ouvertement le parti des gouvernants, en préférant le dialogue stérile à l’action populaire. Prétendre à une « prospérité verte », c’est nier les structures destructrices et élitistes qui font vivre l’économie actuelle. Le règlement de la crise écologique ne peut se faire sans la population, sans attaquer les élites.
À vous, les 250 000 personnes qui sont descendues dans la rue le printemps dernier, cessez d’attendre le jour où les gouvernements et les entreprises prendront le tournant vert. Les environnementalistes ne représentent que le lobby vert, pas la voix populaire. Le changement commence dans votre cour arrière et dans la rue devant chez vous.