On raconte que Yasmina Khadra a toujours voulu être écrivain, mais que son père avait plutôt pour lui des ambitions du côté de l’armée algérienne. L’auteur, un homme souriant, petit mais rigide, confirme, et précise que c’est à 9 ans que sa carrière militaire commença. Il n’avait pas son mot à dire ; il n’aurait jamais osé d’ailleurs. L’enfant qui devient soldat, puis officier haut gradé aux lourdes responsabilités, dont celle notamment de la lutte au terrorisme islamiste qui sévit en Algérie dans les années 1990, n’a pour autant jamais perdu ses velléités d’écrivain. Ses premiers romans, il les publie en Algérie sous son propre nom, mais très vite les choses se compliquent en raison de sa situation dans l’armée. L’institution lui fait comprendre que ses livres ne sont pas les bienvenus.
Ne pouvant abandonner la plume, c’est à ce moment que l’auteur, à la suggestion de son épouse, poursuit son œuvre sous un pseudonyme. Le nom de sa femme s’imposa de lui-même. Mohammed le militaire et Yasmina l’écrivain cohabitent ainsi quelques temps dans une Algérie aux prises avec toutes les folies meurtrières. C’est en 2001 avec L’écrivain que Yasmina Khadra se fait connaître, notamment en France, et qu’il dévoile au monde sa véritable identité. L’histoire raconte une enfance algérienne, la sienne. C’est son autobiographie, et aussi un peu celle de l’Algérie, qui aux lendemains de la guerre d’indépendance dérive lentement vers l’autoritarisme militaire. Retiré en 1999 de l’armée algérienne à l’âge de 45 ans, le romancier se sentait libre de se dévoiler. Or, la publication de L’écrivain crée un incroyable revers de situation. Alors qu’il y dénonce la dérive islamiste, l’auteur se retrouve sur le banc des accusés. C’est alors que Yasmina Khadra et toute sa famille s’installent dans le Sud de la France.
En 2002 son roman, Les hirondelles de Kaboul, emporte tant un succès d’estime que populaire. Vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires à travers le monde, le roman raconte l’amour au temps des talibans. Invité au Salon du livre de Montréal de cette même année, Yasmina Khadra se voit refuser un visa pour le Canada, vaguement soupçonné de « terroriste potentiel ». Les organisateurs du Salon ne soufflent mot et n’insistent pas outre mesure pour dénouer l’affaire. Mais les écrivains québécois se mobiliseront et signeront en bloc une pétition. Rien n’y fait, l’écrivain ne viendra pas. « Ce n’est pas l’ambassade canadienne, mais un sous-fifre qui en a décidé ainsi. On ne peut mettre en cause toute une institution, à cause d’une seule personne », précise l’auteur qui ne désire pas s’étendre davantage sur l’aventure. Pour lui, le dossier est clos.
Le coup de poing de L’attentat
« Je suis très heureux d’être ici », lance le petit homme qui vient de sortir d’une séance de signature et qui ne possède qu’à peine une heure pour manger et répondre à nos questions. De fait, le public et les médias lui ont réservé un accueil du tonnerre. Son tout dernier livre, L’attentat, est tout simplement remarquable. Un véritable roman coup de poing qui amène le lecteur dans les dédales et méandres des attentats suicides. Un éminent chirurgien de Tel-Aviv, un Arabe israélien, heureux et intégré, doit faire face à une terrible vérité : sa femme, qu’il croyait tout aussi heureuse et intégrée, est l’auteure du dernier attentat suicide. La kamikaze, c’est elle. Pourquoi, comment se fait-il ? C’est la question qui hante Amine et qui, de Tel-Aviv à Nazareth, à Janin, cherche une réponse, une seule. Mais peut-on comprendre ? « On ne peut pas comprendre, mais on peut essayer de s’approcher de cette réalité qui est occultée par la brutalité du geste, répond Yasmina Khadra. Je ne parle pas des effets, je vais à la source. »
L’auteur dit s’adresser aux hommes et non à leurs frustrations, principalement aux Arabes et musulmans. Il n’a jamais mis les pieds ni en Israël ni en Palestine. Il en va de sa crédibilité dit-il. Il prétend que s’il foulait le sol d’Israël, plus aucun de ses confrères ne l’écouterait. Il est heureux de l’accueil chaleureux que la presse israélienne lui a globalement accordé, et affirme ne pas chercher à savoir « qui a tort ou a raison ».
« Régler ce conflit sera le plus grand exploit de l’humanité », lance le romancier qui ne semble pas douter un seul instant de cette issue. « Mais ce n’est pas en bâtissant un mur qu’on y arrivera. Dans les deux camps il y a des gens qui ont compris et qui essaient de bien faire les choses. Mais les extrémistes existent des deux bords. »
L’extrémisme religieux demeure le fantôme du militaire devenu écrivain. D’Alger à Tel-Aviv en passant par Kaboul. Il demeure persuadé d’une chose : Dieu n’y est pour rien, ce n’est que l’affaire des hommes. En ce qui concerne sa terre natale, il considère que « l’intégrisme y a été vaincu dans son essence, même s’il y aura toujours des attentats qui ne seront que le fait de désespérés ». Se pointe alors une autre certitude. Il est on ne peut plus clair pour l’ex-responsable de la lutte anti-terrorisme qu’aucun des massacres n’a été commis par quiconque n’appartenant pas à la mouvance islamiste. Pourtant, rares sont ceux qui aujourd’hui encore maintiennent ce discours, même en Algérie...