Le livre autrement, c’est possible !

vendredi 1er octobre 2004, par France-Isabelle LANGLOIS

Alors que la rentrée littéraire battait son plein, Alternatives a rencontré le directeur et fondateur de la maison d’édition française Autrement, Henry Dougier, de passage à Montréal.

C’est en 1975 qu’Henry Dougier fonde Autrement. À l’époque, il s’agit seulement d’une revue. Celle-ci se veut collective, sérieuse et militante. La couverture est, paraît-il, austère - c’est ce que raconte les bavards et témoins de l’aventure -, les articles ne sont pas signés. Le temps a changé bien des choses. De revue scientifique et collective, la maison a graduellement évolué. Il y a d’abord eu la publication d’œuvres, toujours investies dans le débat, la recherche, les petites et les grandes révolutions du temps présent, très ancrées dans la géopolitique internationale. C’est à compter de 1995 qu’Autrement devient une maison d’édition à part entière où essais, littérature, atlas, littérature jeunesse se conjuguent et s’additionnent. Récemment, à la suite d’un déménagement en 2003 dans un hôtel parisien construit autour d’une cour, près de la Bastille, Autrement ouvrait ses portes, offrant au public une bibliothèque et un salon de thé.

Éthique et esthétique

Aujourd’hui, sur une moyenne de 130 œuvres publiées annuellement, 10 seulement sont collectives. Et beaucoup, beaucoup de temps et d’attention sont mis dans la présentation visuelle. « Parce que j’aime les beaux objets », souligne Henry Dougier tout sourire, visiblement content de son court séjour montréalais et surtout content de sa maison, des livres qu’il publie. « C’est vrai que l’on fait attention, reprend l’éditeur, c’est un peu personnel, mais c’est aussi que ça crée une cohérence, un style peut-être également. »

De fait, les livres publiés chez Autrement sont facilement repérables en librairie par les couleurs et les photos en page couverture. Repérables aussi, parce qu’ancrés dans l’actualité lourde et immédiate. La guerre en Afghanistan vient à peine de commencer qu’Autrement fait paraître L’ombre des talibans, d’Ahmed Rashid, célèbre journaliste pakistanais, l’un des plus grands experts de la question afghane. Quelques mois plus tard, paraît CIA et Jihad, de John K. Cooley (qu’Alternatives avait alors invité à Montréal pour une conférence sur l’Asie centrale, voir Alternatives, mai 2002, vol.8 n°8). À ce sujet, Henry Dougier trouve que « les gens [les Français] se sentent beaucoup plus concernés par l’international, aujourd’hui ».

Alors que la tendance est plutôt à la fusion des maisons d’édition, Autrement garde le cap, farouchement indépendante et réussit même là où de plus grandes échouent, c’est-à-dire à ne pas crouler sous les dettes, à se maintenir la tête en dehors de l’eau. Tout va bien, c’est apparemment un success story : « Le succès c’est déjà de ne pas être mort. C’est beaucoup pour une petite maison comme nous, qui publions autant que le Seuil ou Gallimard. » Mais, insiste l’éditeur, « la seule véritable gloire, c’est qu’on ne se soit pas dénaturé.

On aurait pu devenir plus commerciaux. On est resté fidèles à nos orientations de départ. Le problème ce n’est pas de vendre, c’est de faire ce qui me plaît. »
Un peu comme La Découverte, fondée par Maspero et reprise par François Gèze il y a quelques années ?

« C’est très différent, répond Henry Dougier. Ils sont plus militants que nous, ils ont des causes à défendre, des combats à mener. Nous moins, on est plus dans une mouvance gauche entrepreneuriale. Ils ont aussi un fonds d’auteurs plus important que nous. Mais c’est vrai, finit-il par consentir, que nous nous ressemblons. On est aussi assez prêts de l’Aube et du Seuil. » Autre différence, La Découverte a réussi le pari financier en acceptant d’être intégrée à la multinationale Vivendi, tout en gardant cependant son indépendance éditoriale.

De l’international aux villes

Ainsi, l’éditeur pas comme les autres se défend d’être militant, comme souvent dans ce secteur. Pourtant, c’était l’idée de départ de la revue... un peu tout de même ? De fait, côté avenir, les yeux étincelants, Henry Dougier parle d’action : « Jusqu’à il y a 15 ans, on organisait des rencontres militantes, on s’investissait dans des festivals de jeunes créateurs. On faisait beaucoup plus d’activités non éditoriales, puis on a arrêté. Je crois que l’on va retourner vers ça. »

L’éditeur parle des sociétés civiles qu’il sent bouger de plus en plus, de toutes les possibilités qu’ouvre le monde associatif. Résolument tourné vers celui-ci, Dougier et son équipe d’Autrement viennent de lancer une petite association, Ville création, avec deux permanents. « On prépare une petite bible annuelle, une sorte de livre rouge de l’innovation sociale recensant toutes les petites initiatives [initiées par les associations et communautés locales dans les villes de France] et qui sont bien faites. » Ainsi, la boucle serait bouclée. « On revient à quelque chose qui nous manquait », concède l’éditeur. L’homme de livres, militant malgré lui, ajoute que le strict travail d’éditeur peut être frustrant par moments, parce qu’« on ne touche pas au concret ». Et puis, il ajoute cette phrase : « Agir au-delà des livres. » Et c’est ainsi, que paraît cet automne une nouvelle collections intitulée « Villes en mouvement ».

« Je pense que ce qui caractérise la boîte, c’est qu’on est toujours en mouvement », conclue Henry Dougier pour résumer l’esprit d’Autrement. Peut-on alors parler d’une boucle bouclée ? Il y a fort à parier que non.

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