Le « laboratoire » vénézuélien

mercredi 28 septembre 2005, par Ève GAUTHIER

Le Venezuela, qui a longtemps été une « démocrature » plus ou moins tranquille, se retrouve aujourd’hui au cœur de la tempête. D’un côté, une « révolution bolivarienne » impétueuse, qui vit des moments aussi intenses que son chef et porte-parole principal, Hugo Chavez. De l’autre, l’élite traditionnelle, forte de l’appui indéfectible de Georges W. Bush, voulant relancer l’atmosphère de guerre civile qui régnait l’an passé.

En 1999, les Vénézuéliens adoptaient par une forte majorité une nouvelle Constitution proposée par Hugo Chavez, se voulant le principal moyen de démocratiser un pays, depuis toujours l’apanage d’une petite élite. Selon la sociologue Margarita Lopez Maya, qui enseigne à l’Université de Caracas, cela a constitué une avancée considérable. « La nouvelle Constitution consacre le droit à la participation des citoyens de manière directe, semi-directe et indirecte, non seulement dans l’exercice du suffrage mais aussi dans les processus de formation, d’exécution et de contrôle de la gestion publique. Il ne s’agit pas d’une démission de l’État et des décideurs politiques, mais d’une réorganisation du pouvoir. » Selon elle, l’État doit être un accompagnateur et créer les conditions qui permettent la prise de pouvoir par les citoyens.

Aussi, la Constitution reconnaît de façon très marquée les droits des autochtones, une communauté traditionnellement laissée pour compte. D’une part, la Constitution affirme « l’existence des peuples et communautés indigènes, leur organisation sociale, politique et économique, leur culture, us et coutumes, langues et religions comme leur habitat et leurs droits coutumiers, les terres ancestrales que traditionnellement ils occupent pour garantir leur mode de vie » (Article 119). D’autre part, elle s’engage à ce que « l’exploitation des ressources naturelles sur le territoire des habitats indigènes par l’État se [fasse] sans léser leur intégrité culturelle, sociale et économique » (Article 120).

Initiatives citoyennes

Cinq ans plus tard, le pays fourmille d’initiatives citoyennes, tels les comités techniques de l’eau (qui cogèrent l’accès à l’eau potable dans les bidonvilles) et une floraison de petites et moyennes coopératives. Dans le domaine de l’éducation, les progrès sont palpables, d’autant plus que le gouvernement fournit les repas à un million d’enfants pauvres, et le budget de l’État dédié à l’éducation a augmenté de 20 %. Pour la majorité de la population, c’est une révolution, dans un pays où l’essentiel des énormes revenus tirés de la vente du pétrole allaient traditionnellement nourrir les comptes de banques des privilégiés, le plus souvent à Miami !

Par contre, plusieurs s’interrogent sur la profondeur des transformations en cours. Toujours selon la sociologue Lopez Maya, « des inquiétudes persistent quant à la solidité du statut juridique de ces différents programmes, et à la garantie de leur financement à moyen terme ; si un jour, les années de prospérité pétrolière devaient faire partie du passé... ». Edgardo Lander, l’un des organisateurs du prochain Forum social mondial de Caracas, estime pour sa part qu’il est trop tôt pour juger le processus en cours. « La politique économique du gouvernement demeure encore dans un cadre traditionnel. En dehors de l’exception de la politique pétrolière, il n’y a eu aucune proposition complète de modèle de développement à la hauteur du radicalisme du discours politique. » Mais malgré l’ouverture du président Chavez en direction des investisseurs privés nationaux et étrangers, ceux-ci continuent de bouder le Venezuela bolivarien. À la suite de la chute des investissements, le PIB a décliné jusqu’en 2004, au moment où le prix du pétrole a commencé à se redresser.

L’or noir réapproprié pour le développement social
Certes, aujourd’hui, avec le prix du pétrole à près de 70 dollars le baril, le Venezuela, quatrième exportateur mondial, engrange des revenus considérables qu’il redistribue dans une large mesure dans le domaine social. « C’est très bon, affirme Margarita Lopez Maya, mais c’est de la redistribution, et non de la transformation. » Pour Edgardo Lander cependant, le recentrage de la politique économique est en train de se faire. « Par exemple, la récente Loi sur la terre et le développement agraire établit pour objectif l’élimination de la grande propriété qui est contraire à l’intérêt social dans la campagne. » Une réforme agraire en profondeur reste cependant un projet lointain.

Quant au pétrole, tout le monde crédite le gouvernement Chavez pour avoir repris les choses en main. Sous l’égide des gouvernements de droite précédents, l’entreprise publique Petroleos du Venezuela fonctionnait comme un État dans l’État, en fonction de ses intérêts corporatifs. Chavez a réussi à briser la grève, orchestrée par le milieu des affaires en décembre 2001, visant à paralyser l’industrie pétrolière et à renverser le président Chavez. Le coup d’État a effectivement été déclenché le 11 avril 2002, mais vaincu par la mobilisation populaire et la résistance de la majorité de l’armée.

« Aujourd’hui, affirme Edgardo Lander, la menace militaire s’est désarticulée et le président contrôle totalement l’armée ». Lors des élections législatives de 2004, le parti du président a été largement vainqueur. Un jugement confirmé encore en août 2005, par les élections municipales qui ont marqué la défaite de la droite, y compris dans ses bastions traditionnels comme Caracas.

Un grand débat national

Le Venezuela tout entier s’interroge sur l’avenir du projet bolivarien tout en se demandant quand et comment l’administration Bush, qui ne se gêne pas pour le dire, va intervenir pour le faire dérailler. Au-delà des menaces extérieures très graves qui pèsent sur le pays, plusieurs questions sont soulevées par des observateurs sympathiques à la révolution mais qui demeurent critiques.

De fortes traditions autoritaires entachées de corruption morale et matérielle ont pénétré le pays de bord en bord. Edgardo Lander estime que « bien que le thème ait été dans le discours de Chavez au moment des élections, le combat contre la corruption est passé au second plan dans les priorités gouvernementales et il n’y a pas eu de normes ni d’actions systématiques destinées à l’éradiquer. La légitimité du gouvernement dépend dans une bonne mesure de la formulation de politiques publiques destinées à la réduction de la corruption. »
Pour Margarita Lopez Maya, la clé réside dans le développement d’un mouvement populaire autonome capable d’exercer une surveillance sur le pouvoir politique et de se démarquer du gouvernement s’il le faut. La sociologue espère que le prochain Forum social mondial1, qui aura lieu dans la capitale vénézuélienne en janvier 2006, ouvrira plus largement des espaces de dialogue avec les mouvements sociaux du monde entier.


1. Le FSM, qui s’est réuni cinq fois au Brésil et en Inde, a décidé d’organiser en 2006 trois rencontres mondiales simultanées à Caracas, Karachi (Pakistan) et Bamako (Mali).

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