John K. Cooley était de passage au Québec pour présenter son dernier livre et participer à une série de conférences entre Montréal et Ottawa sur le « grand jeu » qui se dessine actuellement en Asie centrale, organisée par Alternatives. Consultant et spécialiste du Moyen-Orient pour ABC News, il n’a pas manqué de critiquer la politique américaine dans cette région. Devant une salle comble, le journaliste américain, qui réside à Athènes en Grèce, a dénoncé les choix du Pentagone concernant ses alliés dans la guerre au terrorisme. « Il n’y a pas eu assez de planification. Les États-Unis répètent les mêmes erreurs qu’après l’invasion soviétique de l’Afghanistan. On voit déjà, une fois que les talibans sont plus ou moins réprimés, des groupuscules qui commencent à se battre entre eux. Les seigneurs de la guerre afghans ne sont pas des alliés en qui l’on peut avoir beaucoup confiance. En Afghanistan, les clans changent de côté très facilement, en même temps que le vent politique tourne. »
De même, étant donné les rapports étroits qu’entretient le Pakistan avec les talibans et Al-Qaida, on peut aisément remettre en question l’alliance des États-Unis avec ce pays. Le réseau Al-Qaida, à qui sont attribués les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone et qui rallie les groupes islamistes les plus violents de la planète selon le journaliste, est soutenu et utilisé par le Pakistan par l’entremise de l’Inter Servives Intelligence (ISI), les services secrets pakistanais, sous le regard tolérant des États-Unis. Les membres d’Al-Qaida ont été entraînés, logés et nourris par le Pakistan, l’actuel allié des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme. Évidemment la situation a changé radicalement après le 11 septembre, mais c’est dangereux, surtout que des éléments extrémistes « subsistent toujours dans presque toutes les couches de la société pakistanaise », ajoute encore l’auteur.
Selon le spécialiste du Moyen-Orient, l’implantation de troupes américaines en Asie centrale est une autre erreur politique : « On est en train de construire des bases plus ou moins permanentes en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan. Il y a 2 000 ou 3 000 mille troupes américaines, une escadrille d’avions de combats français et des troupes canadiennes qui participent à la guerre. Ça risque de devenir un gigantesque cauchemar et de durer très longtemps. Je ne suis pas très optimiste pour l’avenir dans tout ça. »
Reconstruire
Quoi faire alors ? « Mon opinion est qu’il faut essayer de se concentrer sur la reconstruction de l’Afghanistan. Construire un État viable qui n’existe plus après 30 ans de guerre », de répondre John K. Cooley. Il appelle à l’aide humanitaire pour subvenir aux besoins urgents des millions de réfugiés qui retournent en Afghanistan depuis l’Iran et le Pakistan. Mais avertit que cette aide doit absolument être accompagnée d’une reconstruction politique. Et pour créer les conditions nécessaires à celle-ci, il soutient qu’un élargissement du mandat de la force internationale déjà en place à Kaboul, pour sécuriser tout le territoire afghan, est prioritaire.
Les scénarios catastrophe, tel l’emploi d’armes de destruction massive par les mouvements islamistes radicaux, semblent invraisemblables pour le journaliste. À son avis, le trafic de matière nucléaire provenant de l’ex-Union soviétique laisse planer des risques inquiétants, mais il n’y a pas encore eu de signes sérieux laissant croire à de telles éventualités. « Ben Laden [leader d’Al-Qaida] a parlé une ou deux fois publiquement de la nécessité d’obtenir des armes nucléaires, mais c’était peut-être seulement de la rhétorique. Le malheur, c’est que depuis le 11 septembre, il est très difficile d’exclure quoi que ce soit complètement. »
Histoire d’un flirt
John K. Cooley croit que les Américains ont forgé eux-mêmes leurs propres démons. C’est ce qu’il démontre dans son dernier livre où il décortique l’explosive histoire du flirt entre la CIA et les intégristes islamistes dans laquelle a fermenté la crise actuelle. CIA et Jihad explique comment les États-Unis ont soutenu l’intégrisme contre l’URSS en Afghanistan et comment se sont formés des réseaux terroristes tel qu’Al-Qaida. Très détaillé et documenté, l’ouvrage est le fruit d’un journalisme d’enquête échelonné sur 12 ans. Il démontre de façon exhaustive comment les Américains et les intégristes islamistes se sont d’abord appuyés pour ensuite s’entredéchirer, depuis le président Carter jusqu’à la récente administration Bush.
Enfin, John K. Cooley, qui suit les événements au Moyen-Orient depuis 40 ans, affirme ne pas voir de lumière au bout du tunnel, seulement du noir, en ce qui concerne la crise actuelle en Palestine et Israël. Il est surpris par l’attitude d’Israël qui a concentré ses frappes sur l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et n’a presque pas touché le Hamas. « Peut-être est-ce par ce que ce sont eux qui ont encouragé sa fondation en 1989 pour affaiblir l’OLP ? » laisse tomber le journaliste.