C’est le constat auquel est parvenu le Transnut, le Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la transition nutritionnelle et le développement. 16 % des ménages observés lors de leurs études en Haïti et au Bénin en étaient affectés.
Le problème s’explique par une occidentalisation de l’alimentation dans les pays en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. « Ces populations glissent progressivement vers une alimentation riche en gras saturé, en sucre, en sel, mais pauvre en fibres, en fruits et en légumes », explique Hélène Delisle, responsable du Transnut.
Cette alimentation riche en apport énergétique, mais faible en apport nutritionnel a un effet totalement différent chez l’enfant et l’adulte. « Chez les enfants, cela mènera à des carences et à une croissance altérée. Chez l’adulte, cela mènera à l’obésité. D’où le cas d’une famille où il coexiste les deux : mère en surpoids et enfant en état de malnutrition par carence globale ou spécifique », précise la chercheure. Et l’obésité affecte particulièrement les ménages à faible revenu, « parce que les aliments très denses en apport énergétique et pauvres en nutriments sont moins chers », explique-t-elle.
Transmis de la mère à ses enfants
L’urbanisation et la mondialisation sont deux facteurs qui peuvent expliquer le phénomène. En ville, les populations pauvres ont plus facilement accès à la malbouffe à l’américaine. La publicité autour de ces produits y est omniprésente et elle véhicule un modèle occidental. « Manger chez McDo est quelque chose de très bien coté dans ces pays », donne en exemple la responsable du Transnut. Selon Hélène Delisle, « le libre marché fait aussi une concurrence déloyale aux produits régionaux, car ils sont moins chers ».
De plus, la prédisposition aux maladies chroniques due à une mauvaise alimentation de la mère durant la grossesse risque d’empirer la situation. Les maladies chroniques liées à l’obésité (diabète de type 2, maladie cardiovasculaire, etc.) vont apparaître plus facilement chez un individu qui a souffert d’un problème de carences durant la vie intra-utérine. Ainsi, une femme victime de dénutrition à la naissance va être plus susceptible de développer une maladie liée à l’obésité. Et si elle perpétue une carence alimentaire, elle donnera naissance à un enfant plus chétif. « C’est un cercle vicieux. Cela va prendre deux à trois générations avant de se régler », pense Mme Delisle.
Les services sociaux des pays en développement ne sont pas prêts à faire face à ce double défi. « Ils n’arrivent même pas à répondre aux problèmes de carences », signale Mme Delisle. D’ailleurs, 20 millions d’enfants de moins de 5 ans souffriraient d’une malnutrition aiguë sévère selon une déclaration de l’OMS datant de mai 2007. Un million en meurt chaque année. « Et maintenant, ces pays sont confrontés aux problèmes de carences et aux maladies chroniques liées à l’obésité. »
Les « aliments camelotes » dans les réserves
Le double fardeau nutritionnel ne fait toutefois pas rage que dans les pays en développement. En Amérique du Nord, les populations autochtones en sont également victimes. C’est ce qu’a démontré une étude du Transnut et une autre à laquelle a participé Olivier Receveur, professeur au Département de nutrition de l’Université de Montréal.
Les autochtones ont eux aussi subi une transition nutritionnelle au cours des dernières générations. « Ils sont passés d’une alimentation traditionnelle riche en poissons, en gibiers, en oiseaux, en baies, à une alimentation basée sur des aliments commerciaux de mauvaise qualité, signale M. Receveur. Cette alimentation suscite des carences en vitamine A, D, en calcium et en fibre. »
Non seulement l’alimentation des autochtones favorise l’apparition de carences alimentaires, mais elle est aussi la cause de l’augmentation de l’obésité. Selon Statistique Canada, 40 % des femmes et 32 % des hommes des réserves autochtones souffraient d’obésité en 2005. C’est nettement plus que la moyenne canadienne.
Cette mauvaise alimentation résulte de la pauvreté et de l’éloignement des populations autochtones, affirme M. Receveur. « Les aliments doivent se conserver sur de grandes distances. On oublie donc les fruits et les légumes. Ce sont des aliments riches en gras et en sucre. Des aliments camelotes : des boissons sucrées et des mets préparés. Et il y a un manque de compétition entre les distributeurs au sein des communautés. Les commerçants ne sont pas motivés à offrir de meilleurs produits. »
Les Premières nations ont pris conscience de cette nouvelle problématique. Pour Mme Delisle, la solution serait de sensibiliser le public à l’impact de l’alimentation sur la santé et de revenir à une alimentation traditionnelle. Selon elle, « plutôt que de copier le modèle occidental, il faut valoriser davantage l’alimentation locale. Manger local pour l’économie, l’environnement et la santé. Il faut également apporter une attention particulière à l’alimentation des jeunes filles pour qu’elles aient une grossesse normale, donc un enfant normal ».