Le deuxième souffle du mouvement populaire argentin ?

mercredi 30 avril 2003, par Eduardo PEREZ

Photo : Eduardo Perez

Les politiques néolibérales ont porté un dur coup à l’Argentine, qui s’est brutalement réveillée avec la misère, le chômage forcé et la faim en guise de quotidien. Aujourd’hui, près de 60 % des Argentins vivent sous le seuil de la pauvreté, dont la moitié n’arrive même pas à se nourrir convenablement. À l’approche des élections présidentielles du 27 avril 2003, le mouvement populaire né de cette crise fait face à une répression policière accrue et doit composer avec de nouveaux défis.

Le mouvement des piqueteros, né en 1996 en réponse aux conséquences des politiques néolibérales, est composé de travailleurs - en inactivité forcée pour la plupart - et est reconnu pour sa forte capacité de mobilisation. Chaque revendication est appuyée par des manifestations et le blocage de routes et de ponts paralysant les grands centres urbains, auxquels participent des hommes, des femmes (60 % d’entre eux) et des enfants.

Privés de la grève comme outil principal de lutte, étant donné la fermeture massive des usines, il est difficile de se faire entendre. Les syndicats les plus importants sont entre les mains d’une bureaucratie corrompue et la déréglementation du marché du travail a réduit de moitié les travailleurs syndiqués dans les industries. En 1975, 3,8 millions d’Argentins avaient un emploi stable. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 1,8 million (Journal Pagina 12, 13 octobre 2002).

Ces lignes de piquetage, où l’on revendique un travail, du pain et un logement, peuvent durer des heures, des jours, voire des semaines. Mais leurs critiques vont au-delà du cadre revendicatif et s’attaquent à l’origine du mal : la dette extérieure, le néolibéralisme - dont les politiques continuent d’être appliquées - et la répression qui a déjà fait de nombreuses victimes parmi les piqueteros.
Leur force réside aussi dans le développement de formes communautaires de vie, d’alimentation, de production, de logement, de santé et d’éducation. Des centaines de cantines populaires, de boulangeries, de jardins potagers, de dispensaires et de groupes de travail avec les enfants de la rue ont été créés. La participation des piqueteros est au cœur de la récupération de 129 entreprises en faillite ou abandonnées par leurs patrons. Ces entreprises, sous contrôle ouvrier, emploient aujourd’hui de 8 000 à 10 000 personnes, selon Jose Abelli, président du Mouvement national de récupération des entreprises. D’autres organisations sont en train de mettre en pratique des formes de démocratie directe, où tout se discute et se résout dans les assemblées.

De la répression à aujourd’hui

Les impressionnantes mobilisations des 19 et 20 décembre 2001, qui ont coûté la vie à 32 personnes, ont mené le gouvernement au bord du gouffre, comme l’a montré la succession de cinq présidents en trois semaines.

Ces dates marquent un tournant décisif dans les luttes populaires. À partir de ces événements, le gouvernement, avec l’appui des Forces armées et de tous les partis et secteurs de la droite, a voulu criminaliser le mouvement de protestation.
La répression mortelle du pont Avellaneda du 26 juin 2002 s’est alors produite. Le gouvernement avait planifié un coup monté pour que les piqueteros soient considérés comme les agresseurs et les forces répressives, comme leurs victimes. Mais les témoignages et images de la presse ont révélé cette manœuvre en mettant en évidence les poursuites policières dans les rues et les immeubles. Le point culminant a été l’assassinat de Darío Santillán et Maximiliano Costeki, deux militants du Mouvement des travailleurs sans-emploi (MTD). La réponse populaire a été d’une envergure telle que le président Duhalde se retrouva dans l’obligation de déclencher des élections anticipées, qui finalement auront lieu à la fin du mois d’avril.

À l’approche du scrutin, la répression policière s’est accentuée. Le 18 avril, plus de 300 officiers de police ont pris d’assaut la fabrique de textile Brukman que des travailleurs, aux lendemains des événements de décembre 2001, avaient repris en main. Les autorités ont aussi délogé les travailleurs d’une entreprise de céramique, en plus d’avoir arrêté plusieurs militants des différents mouvements de travailleurs.

S’il est vrai que le mouvement populaire ne peut pas mettre en pratique la consigne « Qu’ils partent tous ! », démontrant le profond mépris du peuple argentin pour la classe dirigeante, cette dernière ne réussit toutefois pas non plus à discipliner le mouvement. Deux forces irréconciliables se retrouvent nez à nez.
L’ampleur et la richesse avec lesquelles le mouvement populaire argentin se développe se reflète aussi dans la diversité des propositions politiques et des organisations. Vaincre les obstacles qui empêchent une action commune est sans aucun doute le défi d’envergure qui attend le mouvement populaire, pour achever l’œuvre commencée en décembre 2001.


Eduardo Pérez, collaboration spéciale

L’auteur revient d’un séjour en Argentine.
Traduction : Stéphanie Lopez

Photo : « Derrière chaque enfant de la rue, il y a des parents sans travail. » C’est la consigne qui a réuni plus de 250 enfants lors d’une marche organisée récemment par les Foyers d’enfants de la rue, avec l’appui de la Centrale des travailleurs de l’Argentine. (CTA).

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