Il paraît qu’à Goma la guerre est finie, que la capitale du Nord Kivu est entrée dans une ère qualifiée désormais de « post conflit ». C’est en tous cas ce que les autorités de la province, civiles et militaires, ont répété au Ministre belge des Affaires étrangères Steven Vanackere. Dans le camp de réfugiés de Mugunga, Jacques Kayumba, originaire du nord de la province, n’hésite pas à contredire cette vérité officielle : alors qu’il se préparait à regagner son village de Mukana, des messages lui sont parvenus « si vous rentrez, vous serez tué…. »Depuis lors, cet agriculteur, un Hutu congolais, a appris que ses terres étaient occupées par d’autres, des membres de sa famille qui le jalousaient depuis longtemps et aussi des éleveurs, désireux d’étendre leurs pâturages…
Installés au pied du volcan Nyamulagira, dont les éruptions imprègnent l’air de soufre et de poussière, les déplacés de Mugunga , 2000 personnes vivant dans des blindés estiment qu’ici, aux portes de Goma, ils bénéficient d’une relative sécurité et ils font la sourde oreille à ceux qui les poussent à rentrer chez eux.
Il faut reconnaître que si, voici un an, au plus fort de l’offensive de Laurent Nkunda, plus d’un million de civils s’entassaient dans d’immenses camps de fortune, la situation depuis lors s’est grandement améliorée : les plus valides sont partis, ne laissant dans le camp que des vieux que nul ne veut prendre en charge, des moins valides auxquels Handicap International a fourni béquilles et appareillages, des femmes seules chargées d’enfants. A l’entrée du camp, les humanitaires se sont déployés en bon ordre, toutes les agences et ONG internationales faisant claquer leurs drapeaux, ce qui n’empêche pas certains déplacés d’assurer que les soins médicaux sont payants et les rations insuffisantes.
A Goma, la délégation belge a pu découvrir pourquoi, même si officiellement, elle est finie, la guerre n’est pas près de se terminer : depuis 1994, lorsque les réfugiés hutus ont déferlé au Nord et au Sud Kivu, une véritable économie de crise s’est installée dans la région. Trop d’intérêts sont en jeu pour que la normalisation soit rapide, sinon souhaitée. Il suffit de passer le long du lac, loin de la touffeur et de la promiscuité des « blindés » où s’entassent les déplacés pour découvrir que les centaines de millions de dollars déversés depuis quinze ans par l’aide internationale n’ont pas été perdus pour tout le monde : le prix des parcelles est passé de 2500 à 50.000 voire 150.000 dollars et de nombreuses villas avec vue imprenable sont occupées par les grandes ONG de la place et les bureaux de l’ONU. « Le circuit est bien rodé » nous explique Hakiza, qui travaille, lui, dans le développement : « dans le cas de l’aide d’urgence, dont les budgets ne sont pas contrôlés, 30% des montants sont retenus à la source pour frais de gestion et rémunérations. Lorsque des ONG de la place sont appelées à sous traiter, 20% supplémentaires doivent être retenus. Le système agit comme un entonnoir, dont seules quelques gouttes aboutissent aux véritables destinataires… »
Nombreux sont les Congolais qui bénéficient du circuit de la crise : députés de l’Assemblée provinciale, voire ministres, alliés de Kinshasa et surtout haut gradés de l’armée se sont fait construire des villas hollywoodiennes le long du lac, et ces hôtels de luxe, ces guest house, ces demeures confortables accueillent les expatriés des agences internationales qui ne rechignent pas à payer des loyers exorbitants.
A plusieurs reprises, Vanackere a interrogé ses interlocuteurs : « pourquoi les militaires ne sont ils pas payés, ce qui mène à des désertions, des révoltes sporadiques ? » L’un des éléments de la réponse se trouve au bord du lac : c’est là que les principaux gradés, chargés des opérations Umoja Wetu, Kymia II et aujourd’hui Amani Leo (la paix tout de suite…) ont investi une partie des soldes qu’ils auraient du payer à leurs militaires. Les plus « loyaux » ont pratiqué l’ « Opération retour », ristournant à Kinshasa une partie de sommes détournées…
Cet argent qui fuit de tous les côtés alimente un boom de l’immobilier, permet la multiplication des hôtels, des magasins d’alimentation ou de friperie, rend trépidante l’atmosphère de Goma, d’où les tshukudus, les vélos de bois, ont pratiquement disparu, au profit des motos taxis et des voitures de tout calibre…
Le bilan des opérations militaires est lui aussi sujet à controverse. Au Ministre belge des Affaires étrangères, les officiels ont tenu des propos optimistes : selon eux, les opérations menées contre les rebelles hutus ont réussi à démanteler les principales bases des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), à les faire reculer en forêt et à forcer près de 20.000 d’entre eux à regagner le Rwanda. Mais les échos venant du terrain sont bien différents. Buabua, dont l’ONG Helpage construit des routes dans l’intérieur du pays en recourant à la main d’œuvre locale, payée cash 3 dollars par jour de travail, a constaté que les FDLR avaient repris la plupart de leurs bastions, à Walikale entre autres, et reconstitué leurs circuits d’exportation de minerais… « Nous avons affaire à une véritable armée, bien structure, bien organisée et qui bénéficie de nombreuses complicités locales ; au sein de l’armée, de la société civile, des Hutus congolais… L’opération conjointe réunissant l’armée conglaise et la MONUC a été mise en échec.. »D’autres sources nous démontrent qu’ici aussi le circuit de la guerre s’autofinance : « dans les brousses où se trouvent les FDLR, des ONG médicales soulagent les populations civiles, mais aussi, elles soignent et transportent des combattants blessés, assurant même leur logistique. Pourquoi voudriez-vous que la guerre s’arrête ? »
De plus, c’est vers le Rwanda, toujours hostile à toute forme de négociation avec les FDLR, que se dirigent les filières d’exportation des minerais tandis que le makala (charbon de bois) qui contribue à déboiser le parc des Virunga se vend de l’autre côté de la frontière, depuis que le président Kagame a interdit de couper les arbres sur le territoire rwandais…