Le cul de sac de la gauche

mercredi 26 octobre 2005, par Gil COURTEMANCHE

Les divisions de la gauche française et la défaite des sociaux-démocrates en Allemagne ont alimenté ces derniers mois les pages des journaux. La plupart des critiques, socialistes inclus, appellent la gauche au réalisme et à la lucidité. Sans le dire, ils proposent le centrisme de Tony Blair qui n’est somme toute qu’un pragmatisme économique avec un « préjugé favorable » pour ceux qui ne sont pas millionnaires. Curieusement, personne ne demande à la gauche de faire preuve d’imagination ni de proposer une lecture différente de la réalité que celle que véhiculent les chroniqueurs de la mort des idéologies.

Ici, où la gauche politique est si petite, elle n’existe publiquement qu’en fonction de sa position sur la question nationale. Bien triste de constater que le bien commun ne peut exister sans la création de la nation. Cela est notre cul de sac local. Françoise David est la dernière à tomber dans ce piège québécois qui fera en sorte qu’on votera pour des souverainistes convaincus, mais pas pour des gens dont ce n’est pas la priorité.
La gauche n’est pas triomphante en Europe, elle bat de l’aile, mais elle n’est pas morte. L’Espagne est passée à gauche et il y a quelques semaines, la très riche Norvège. Les Français ont confié à la gauche l’administration de presque toutes les régions du pays, à l’exception d’une ou deux.

Il faut retourner à l’élection de François Mitterrand en 1981 pour comprendre les problèmes actuels de la gauche. Mitterrand, qui n’était pas un doctrinaire, avait promis cependant une cassure avec l’ordre capitaliste. Faute d’imagination, il eut recourt à la bible socialiste des nationalisations, de la planification bureaucratique et de l’État jacobin centralisateur. La gauche ne comprend pas que le monde change. Plus conservatrice culturellement que la droite toute orientée vers le profit, elle ne saisit pas les conséquences qu’entraîneront les nouvelles technologies pour lesquelles elle entretient un certain mépris. La gauche qui gueule contre les multinationales, se trouve tout à coup démunie devant l’apparition des transnationales, de la libéralisation du commerce et de la mondialisation, celles-ci font leur œuvre de laminage. Pendant que la gauche s’accroche au soutien de l’industrie lourde au nom du soutien à l’emploi, celle-ci se déplace ou disparaît.
L’acier est remplacé par l’aluminium, puis par les métaux composites légers. La gauche occidentale n’a pas vu venir la mondialisation et la monétarisation de l’économie. En France et en Allemagne, elle fut condamnée à gérer les effets de la crise provoquée par la fuite des capitaux, l’évasion fiscale favorisée par la libéralisation des mouvements de capitaux et la baisse des revenus de l’État provenant de l’industrie. On pourrait dire pour la France et l’Allemagne que la gauche gouverna au mauvais moment et qu’on la sanctionne parce qu’elle gouvernait quand la faillite s’installa. C’est en partie vrai.

Mais c’est trop simple, même si cela fait partie de l’explication. La gauche en Occident a oublié ses origines. En France, ce passé est celui de la Révolution, un mouvement largement spontané où se sont associés sans-culottes et intellectuels. La gauche proposait la liberté et le bonheur à des gens vrais qu’elle connaissait. Puis elle se perdit dans la théorie de la lutte des classes et dans le rôle de l’État tout-puissant qui sauve le peuple sans qu’il n’en fasse partie. La gauche nous donna tout ce que nous aimons dans nos sociétés, la liberté de parole, les vacances annuelles, une société de droit, etc. Mais aujourd’hui, on ne comprend pas ce qu’elle propose de différent qui pourrait changer nos vies. La gauche en Occident ne propose rien de nouveau sinon une équité plus grande dans l’injustice.

Pendant que la gauche s’occupait à gouverner et à gérer la crise, une autre réflexion apparaissait, celle de l’altermondialisme qui, faut-il le préciser, n’est pas sans défaut. Mais la gauche traditionnelle n’y vit qu’un ennemi car cette réflexion proposait une autre lecture de gauche. Devant tant de pouvoirs qui échappent aux États, comment les citoyens peuvent-ils récupérer des moyens de contrôler leur environnement immédiat ? Les citoyens sentent bien que c’est en prenant le contrôle des pouvoirs de base, les municipalités, les arrondissement. Mais la gauche n’est pas là. Elle est encore, ici comme ailleurs, dans le refus de l’imagination.

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