J’ai rencontré Brenda Sayers le 10 août dernier. Elle entreprenait une tournée canadienne pour expliquer les effets négatifs du traité Canada-Chine sur les investissements et raconter comment elle avait choisi de le combattre. Brenda parlait en son nom propre, mais aussi en tant que citoyenne de la Première nation Hupacasath. Son discours mélangeait habilement une sincère indignation, des informations précises et rigoureuses sur sa cause de même qu’un attachement profond envers son peuple et le milieu où elle a grandi.
Rappelons que ce traité avec la Chine a été dénoncé à maintes reprises par plusieurs organisations parce qu’il permet aux grandes entreprises chinoises d’avoir un droit de regard sur les lois adoptées au Canada, particulièrement celles qui concernent les ressources naturelles et l’environnement. Ce type d’accords sur la protection de l’investissement étranger, que le Canada a signés avec plusieurs pays, et qui ressemblent au fameux chapitre 11 de l’ALÉNA, rendent les gouvernements vulnérables aux poursuites des entreprises, ce qui affecte grandement leur autonomie.
Lorsque Brenda a découvert cet accord, elle a été stupéfaite d’en constater l’immense portée. Mais elle a aussi compris qu’il aurait de lourdes conséquences sur son territoire, riche en charbon et en ressources naturelles, que les Chinois pourraient venir exploiter sans tenir compte de ceux qui y vivent. Tout ceci mettrait en péril les droits ancestraux de la Première nation Hupacasath.
Brenda a choisi, avec l’aide des siens et forte de nombreux appuis, de porter l’affaire en Cour fédérale. Avec son peuple, elle demandait d’empêcher la ratification du traité parce que Canada n’a pas consulté les Premières nations lors de la négociation de l’accord.
Le traité entre le Canada et la Chine se trouve en curieuse position. Les négociations se sont effectuées dans le plus grand secret. Les conservateurs l’ont rendu public, sans fanfare ni trompette, le 26 septembre 2012. Depuis le 2 novembre de la même année, il peut être ratifié sans le recours d’un vote en chambre. Le traité existe donc, il peut être effectif au moment où on le décidera, mais il reste curieusement dans des limbes, toujours menaçant, comme une épée de Damoclès.
Pour Brenda Sayers et le peuple Hupacasath, il s’agissait donc de mettre fin à cette situation inconfortable et de forcer le gouvernement fédéral à tenir compte de ceux qui sont directement concernés par les accords sur l’investissement, les peuples autochtones en particuliers, mais aussi, toute la population du Canada.
Le jugement tombé le 27 août dernier s’est révélé parfaitement décevant. Le juge en chef Paul S. Crampton a affirmé que les effets anticipés par le peuple Hupacasath « sont spéculatifs, peu probables, et difficiles à évaluer ».
Il faut dire que le jugement a écarté du revers de la main le témoignage de Gus Van Harten, le principal expert convoqué par la Première nation. Ce professeur de l’Osgoode Hall Law School, à l’Université York à Toronto, est pourtant l’un des spécialistes les plus réputés sur les traités sur l’investissement. Sa tare est cependant de ne pas les aimer. Ainsi, l’a-t-on rejeté parce qu’il a été « critique des traités sur la protection et la promotion des investissements étrangers (APIE) comme celui entre le Canada et la Chine et parce qu’il a publiquement et fréquemment pris position contre la ratification de cet APIE. » Le juge n’a donc pas évalué la valeur de l’argumentation du spécialiste, il a évacué sont témoignage parce que le professeur ne s’est pas bien comporté. Le tribunal était à la recherche d’une utopique neutralité dont l’absence affecte surtout, semble-t-il, le point de vue des opposants.
Ce jugement, qui reprochait la partialité d’un expert, est en lui-même imprégné d’une tout aussi grande partialité. Les problèmes restent entiers : celui du secret dans lequel sont négociés les accords de libre-échange et ceux sur l’investissement ; celui de la soumission des gouvernements aux désirs de la grande entreprise ; celui d’un manque de consultation qui relève presque d’un mépris envers les peuples — les Premières nations en particulier.
Lors de sa présentation à Montréal, Brenda avait fait preuve d’une grande ferveur et de beaucoup d’espoir, sans toutefois être naïve. Le recours au tribunal a pour le moment été un pari perdu. Mais il est possible que d’autres Premières nations intentent un pareil recours, et qu’à force d’acharnement, la situation puisse changer. Un grand travail de sensibilisation a été amorcé autour de cette cause.
Un peu moins au Québec cependant, puisque cette histoire, qui se déroule en Colombie britannique, semble loin de nos préoccupations. Mais avec la volonté de s’emparer des ressources du grand Nord, avec la grande implication de la Chine dans l’exploitation et la consommation des ressources naturelles, il est plus que probable que nous nous trouvions face aux effets négatifs d’un accord que le gouvernement conservateur se décidera peut-être un jour de ratifier. Plus on le fait connaître, comme l’a fait courageusement Brenda Sayers, moins cela risque d’arriver.