
À une époque où il est de bon ton de larguer des boulets bien sentis aux femmes et aux féministes, il fallait un certain culot pour proposer comme thématique touristique afin de promouvoir la fréquentation du canal de Lachine l’apport exceptionnel d’une quarantaine de figures féminines à la construction de Montréal ! Et comme Montréal c’est bien plus qu’une île mais bien une sorte de cœur-poumon du Québec, ce que ces personnalités ont fait pour Montréal, elles l’ont aussi offert, par ricochet, au Québec tout entier.
Les visiteurs québécois et étrangers sont donc conviés cet été à découvrir La Part des femmes. Tel est le nom de la série d’événements culturels et patrimoniaux qui mériteront le détour vers ce territoire méconnu des Montréalais eux-mêmes, le Grand Sud-Ouest de Montréal. La reconnaissance de la contribution exceptionnelle des femmes à leur société, c’est la ligne directrice imaginée par Nicole Boudreau, responsable de la programmation à la Société de promotion du canal de Lachine, un organisme sans but lucratif (OSBL) qui souhaite faire converger beaucoup de monde d’ici l’automne vers un secteur formidablement créatif de la métropole.
Bassin industriel du Canada au 19e siècle, c’est tout près du canal que tout a commencé pour Montréal. Grâce ou à cause de ses rapides qu’il a fallu contourner pour poursuivre sa route vers...la Chine, et où les premiers navigateurs ont fait la rencontre des autochtones faisant portage. C’est aussi sur le site de la Maison Saint-Gabriel, à Montréal, qu’ont mis pied les premières Filles du Roy venues peupler et construire la colonie.
Mais qui sait que le jazz montréalais est né dans la Petite-Bourgogne ? Que c’est une femme oubliée mais toujours bien vivante, Daysie Peterson Sweeney, qui la première a eu l’idée de former professionnellement son frère surdoué, Oscar Peterson, qu’elle a dirigé ainsi qu’Oliver Jones ? Elle-même était diplômée de McGill en musique, et fille de parents tous les deux musiciens dilettantes... Qui se rappelle que l’idée même des CLSC a été piquée à la Clinique populaire Saint-Charles (de Pointe-St-Charles), haut lieu d’innovation communautaire ?
Mais qui va-t-on mettre en lumière pour illustrer cette Part des femmes ? Le jury a clamé que la tâche avait été cruelle ! Le choix s’est arrêté sur trente-huit personnalités auxquelles s’ajoutent dix collectifs de femmes qui ont bâti, chanté, analysé, solidarisé Montréal. Leurs visages seront montés en effigie sur de grandes photos aux quatre coins du Grand Sud-Ouest, notamment au marché Atwater, à l’écluse Saint Gabriel, au Parc des Rapides et à la Halte LaSalle. Huit sites chargés d’histoire nichés dans quatre arrondissements qui bordent le canal de Lachine dévoilent ces jours-ci, à tour de rôle, des portions de cette exposition éclatée, sorte de musée nouveau genre. Quelques noms en vrac : Les Filles du Roy, Lise Payette, Phillis Lambert, Marguerite Bourgeoys, Nancy Neamtan, Gabrielle Roy, Clémence Desrochers, Diane Dufresne, La Famille Biddle au féminin, Geneviève Janson, Laure Waridel en passant par Dorimène Desjardins (la mère des caisses pop), Michaëlle Jean, Miyuki Tanobe ou encore les Scientifines, La Vie en rose...
L’expo photo, montée sur de grands cylindres, rappellera le patrimoine industriel du Sud-Ouest. Les grands panneaux sont conçus comme une porte d’entrée culturelle à d’autres lieux, atmosphères, concerts gospel (août-septembre), jardins, musées, des sites à voir en bus, à vélo ou en bateau grâce à des visites commentées par L’Autre Montréal. Tout cela pour se réapproprier l’histoire des femmes et du canal de Lachine de multiples manières. Et faire en sorte qu’en convergeant vers Verdun, Lachine, LaSalle ou le Sud-Ouest, on découvre l’apport de ces arrondissements à la singularité de Montréal mais aussi que les visités se sentent partie prenante de cet hommage à leur canal qui fête cet été ses 180 ans. Nous ne sommes rien sans la mémoire, n’est-ce pas ?