Une guerre civile qui vient de loin
Depuis 1978, Garang avait réussi à imposer le SPLA comme le porte parole des populations du sud du Soudan, marginalisées pendant si longtemps par le gouvernement central. Au départ une simple mutinerie de soldats mécontents, le SPLA était au fil des années devenue une formidable force militaire contrôlant effectivement une grande partie du sud du pays. Durant les dernières années, le SPLA disposait de plus de 40 000 hommes en armes. Les populations du sud s’étaient en bonne partie ralliées au SPLA qui sous l’impulsion de Garang avait choisi de se battre pour démocratiser et « fédéraliser » le pays, plutôt que de prôner la sécession comme certains groupes actifs au Soudan, un pays immense et complexe abritant une une myriades de groupes ethnolinguistiques, de cultures et de religions. Garang avec d’autres organisations de l’opposition soudanaise était venu proche de son but en 1986 lors d’une Intifada populaire qui porta au pouvoir une coalition déterminée à négocier la paix et à restructurer le pays. Mais en 1989, un coup d’état était organisé par des militaires et des intégristes, relançant la guerre civile. Le SPLA devint alors partie prenante d’une vaste coalition d’opposition, l’Alliance démocratique nationale, réunissant des groupes du sud et du nord du Soudan. La dictature n’hésita pas à lancer de violentes offensives contre l’opposition et surtout contre les populations civiles, faisant plus de deux millions de morts.
Des négociations sous influence
Pendant longtemps, les militaires au pouvoir sous la direction du président Omar al-Beshir fut conforté par les faiblesses et les divisions de l’opposition. Le SPLA notamment devint dans cette évolution militariste autoritaire et centralisé autour de la personnalité de Garang. Des groupes ethnolinguistiques du sud (les Nuers notamment) entrèrent en dissidence dans les zones contrôlées par le SPLA. La dictature put également profiter de la dernière période de la guerre froide, en se présentant comme le rempart contre le « communisme » (le parti communiste faisait partie de l’ADN et était allié au SPLA, avec l’appui de l’Union soviétique). Comme au Pakistan et en Afghanistan, des forces réactionnaires devinrent les « meilleurs alliés » des Etats-Unis pour une certaine période de temps. À la fin des années 1990 toutefois, le vent tournait et le régime soudanais devint la cible de Washington, surtout lorsqu’il fut révélé que Bin Laden avait établi des bases militaires au Soudan. Les pressions contre le régime s’accentuèrent et des négociations furent enclenchées sous la médiation des pays de la région (qui sont regroupés dans le cadre de l’IGAD) et des Etats-Unis. Garang sut bien manœuvrer et s’imposer comme principal porte-parole de l’opposition, au détriment des autres membres de l’ADN et en janvier 2005 finalement, un accord de paix était signé.
Paix ou pacification
L’accord devait conduire à l’arrêt des combats et la formation d’un gouvernement d’unité nationale dont le vice-président devait être nul autre que John Garang (le Président Omar al-Beshir restant à son poste). Plus encore, l’accord concédait au SPLA le contrôle quasi total des régions du sud, ainsi qu’une partie des revenus extraits des exportations de pétrole, qui sont la principale ressource du pays. En échange de quoi, l’alliance militaire-intégriste du nord gardait le contrôle sur le reste du pays, en imposant même la charia comme la « loi fondamentale » du pays. Bien que très majoritairement musulmane, la population du nord du pays ne se reconnaît pas dans ce projet intégriste qui lors des dernières élections démocratiques (1989) avaient obtenu moins de 15% des suffrages. Pour ces critiques donc, l’accord de paix prenait davantage l’allure d’un partage du pouvoir et d’une pacification temporaire, aux dépens des populations, au nord comme au sud. La rébellion au Darfur entre-temps est venue rappeler que le conflit soudanais ne peut être compris simplement comme une confrontation entre le « nord musulman » et le « sud chrétien ».
Après John Garang
Le leader du SPLA n’aura été vice-président que durant trois semaines finalement. Agronome de formation mais militaire de profession, il aura mené son mouvement d’une main de fer, sans être toutefois capable de réunifier et encore moins de démocratiser le Soudan. La tâche est compliquée car le pays qui regorge de pétrole attire les convoitises. La « bonne gouvernance » qu’on estime nécessaire à Washington, Londres et Paris, est celle qui garantit les approvisionnements de pétrole, pas celle qui permet aux populations de vivre dignement. Il n’est pas du tout clair que l’accord de janvier dernier survivra longtemps à John Garang bien que le Président Beshir ait affirmé qu’il voulait continuer avec le SPLA. Reste à voir comment l’opposition démocratique réussira ou non à profiter de cette nouvelle crise pour imposer un véritable processus de paix.