Quelques jours après la mort du
chef sudiste, nous avons reçu cette
lettre d’une amie soudanaise,
Gihan, décrivant l’atmosphère régnant
au lendemain des émeutes
qui ont éclaté dans la capitale :
« Jusqu’ici, Khartoum, siège du pouvoir
central, avait réussi à commander
une guerre à distance, demeurant
ainsi à l’écart des affrontements armés
qui avaient déchiré le Sud. Au
fi l des ans, l’arrivée massive des déplacés de la guerre avait bouleversé les données démographiques de la
capitale et créé une fragile, mais tolérante,
mosaïque ethnique et religieuse,
où églises et mosquées cohabitaient
presque sans heurts. Comme un microcosme,
mêlant urbains et ruraux,
Africains et Arabes, villas et bidonvilles,
Khartoum refl était la diversité et
les contrastes du pays, le plus vaste du
continent. Outre quelques groupes qui
en tiraient profi t, les Soudanais, toutes
ethnies confondues, souhaitaient
la fi n de cette guerre commencée à la
veille de l’Indépendance. »
De bien fragiles espoirs
C’est le 9 janvier dernier, à Nairobi,
capitale du Kenya, que le gouvernement
de Khartoum et le
Mouvement populaire pour la libération
du Soudan (MPLS - ex-rebelles
sudistes) ont signé des accords
de paix historiques mettant fi n à
la guerre civile qui oppose le Nord
arabo-musulman au Sud chrétien
animiste.
Six mois plus tard, la mise sur
pied du gouvernement intérimaire
d’unité nationale et d’un gouvernement
du Soudan-Sud a marqué le
début d’une période de transition
de six ans, à l’issue de laquelle les
sudistes doivent choisir par référendum
entre l’unité ou l’indépendance.
Première pierre de l’édifi cation
politique du nouveau Soudan, une
Constitution établit les modalités
de partage des richesses entre les
deux régions, la nature des rapports
entre la religion et l’État, le principe
de la diversité ethnique du pays et le
droit à l’autodétermination des populations
du Sud, afi n de briser une
longue tradition de domination du
Nord. L’entente accorde également
au chef sudiste la vice-présidence
du Soudan et un droit de veto sur
les décisions de l’actuel chef d’État,
Omar Hassan Al-Bashir.
Mais les incidents qui ont suivi la
mort de John Garang révèlent à la
fois la fragilité du processus
de paix et les faiblesses de ce
projet unifi cateur. Selon plusieurs
analystes, les confl its
qui traversent le Soudan depuis
si longtemps, la politique
de division pratiquée par
l’administration coloniale britannique
et la répression par
les régimes dictatoriaux qui se
sont succédés après l’Indépendance
sont autant de facteurs
qui expliquent le désordre permanent
dans lequel le pays est
enfoncé. La démocratisation,
la reconstruction et la réconciliation
des diverses communautés
semblent lointaines.
D’autant plus que l’exploitation
des ressources du pétrole a littéralement
jeté de l’huile sur le feu,
puisqu’elle engendre des revenus
immenses que les diverses élites,
principalement celle qui contrôle
le gouvernement de Khartoum,
veulent monopoliser.
En l’absence d’un projet alternatif
à cette crise politique, la mort du
principal architecte du processus
de paix risque de plonger le pays
dans une nouvelle période d’incertitude
et d’instabilité. Unique
signataire de l’accord de paix au
nom du Soudan-Sud, Garang, issu
de la tribu Dinka de Bor, la plus in-
Les confl its qui traversent le
Soudan depuis si longtemps, la
politique de division pratiquée
par l’administration coloniale
britannique et la répression par les
régimes dictatoriaux qui se sont
succédés après l’Indépendance
sont autant de facteurs qui
expliquent le désordre permanent
dans lequel le pays est enfoncé.
fl uente de la région, ne faisait pas
l’unanimité parmi la trentaine de
mouvements politiques et armés du
Sud, qui contestaient sa représentativité.
Mais il était l’un des seuls à
promouvoir l’unité nationale au
sein d’une fédération. Visionnaire,
il réclamait l’égalité de tous les citoyens - Arabes et Africains, musulmans,
chrétiens et animistes - dans un Soudan unifié.
Cette nouvelle embûche à la paix
aura inévitablement des répercussions
sur les laissés-pour-compte des
accords de Nairobi : les victimes de
la guérilla de la province du Darfour
où perdure, depuis 2003, un
confl it meurtrier, alors que les
deux principaux mouvements
rebelles de l’Est du pays menacent
de reprendre la lutte armée.
Car les crises que traverse actuellement
le Soudan ne se
résument pas à la lutte Nord-
Sud ni à une opposition Arabes
contre Africains, comme il est
trop souvent écrit. Elles opposent
davantage un centre à ses
périphéries où vivent des populations
qui ont été longtemps
marginalisées par les régimes
successifs.