La campagne électorale provinciale qui vient de s’achever a été le lieu de plusieurs scandales mettant à terme certaines candidatures, parfois en raison de la tenue de propos haineux. D’autres candidat-e-s, ont, au contraire, été l’objet de cette xénophobie. Ce fut le cas de deux candidat-e-s musulman-e-s dont les pancartes électorales ont été vandalisées. Le candidat Ali Dahan a dû interrompre sa campagne après qu’on ait criblé de balles une de ses pancartes. Quant à Ève Torres, première candidate voilée, l’inscription « un état laïc » sur sa pancarte a fait réagir beaucoup de concitoyen-ne-s et a alimenté les attaques à son endroit, qui se reproduisent depuis le début de sa campagne. D’autre part, la portée du débat sur l’immigration en période électorale a suscité l’indignation pour la vision réductrice qui s’en est dégagée par rapport à la place des immigrant-e-s au Québec, surtout celle portée par le nouveau Premier ministre Legault. Celui-ci a affirmé sa volonté d’expulser les immigrant-e-s qui échoueraient un test de valeurs.
Pour beaucoup de Québécois-e-s musulman-e-s, cette dernière proposition est inquiétante parce qu’elle signifierait de revivre le traumatisme causé par la Charte de valeurs et la montée de l’islamophobie que celle-ci a engendrée. Aussitôt élu, François Legault annonce que les fonctionnaires en position d’autorité seront contraint-e-s à retirer leurs signes religieux s’ils-elles veulent garder leur emploi. Pour ce faire, la CAQ n’hésiterait pas à utiliser une clause dérogatoire, qui, selon l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, donnerait le droit à la province de déroger à la Constitution. Par contre, la Charte des droits et libertés du Québec pourrait faire en sorte de bloquer cette requête. Il est à noter que cette mesure pose problème notamment pour les professeur-e-s car elle entraînerait plusieurs pertes d’emploi, en cette période de pénurie d’enseignant-e-s, rappelons-le.
Encore une fois, les conditions de la réalisation de la laïcité seront sujettes à négociation. Un des compromis évoqués antérieurement et possiblement réenvisageable serait l’application des recommandations de Bouchard-Taylor sur le port de signes religieux, faisant en sorte d’épargner les professeur-e-s concerné-e-s. D’une part, cette solution ferait moins de dégâts tant de la part de ceux et celles qui soutiennent le projet de loi que ceux et celles qui s’y opposent, mais de l’autre, elle sacrifierait les droits et libertés de certain-e-s, comme ceux de l’étudiante voilée en technique policière. Selon une logique de zéro tolérance à la discrimination, ce genre de concession serait inacceptable. Outre celles qui seraient compromettantes, les libertés individuelles ne doivent surtout pas être mises au péril car elles se situent aux fondements des valeurs québécoises. C’est ce qu’a avancé le Premier ministre Trudeau lors de sa mise en garde contre le nouveau gouvernement caquiste quant à l’utilisation de la clause dérogatoire. Il a rappelé aussi que l’État n’a aucun rôle à jouer sur la manière dont une personne devrait s’habiller.
Avant que Legault n’aille aussi loin, il serait nécessaire pour lui ainsi que tous les Québécois-e-s de se recentrer sur l’enjeu, à savoir la neutralité de l’État. Garantir la laïcité est une affaire de compétence, et non de pratique religieuse. Le port d’un signe religieux en tant que tel n’affecte pas le traitement que donnerait un-e fonctionnaire en position d’autorité, à condition qu’il-elle ait les compétences nécessaires pour pouvoir mettre de coté ses convictions religieuses dans le cadre de son service. Cette compétence-là pourrait être soumise à un test, qui s’adresserait toutefois à toutes et tous, sans discrimination sur la base du port d’un signe religieux. Il n’y a effectivement aucun mal à mettre en place des mesures pour s’assurer de la neutralité de l’État; le problème est de le faire aux dépens des libertés fondamentales.
Il faut garder en tête que ce débat a eu pour effet essentiellement de stigmatiser les musulman-e-s. En effet, on peut constater le glissement rapide et dangereux partant de la laïcité au voile des musulmanes. Et c’est justement sur elles que se sont concentrés les crimes haineux découlant du débat, allant des paroles xénophobes à des violences physiques. L’islamophobie est donc bien réel, et l’attentat à la mosquée l’an dernier nous le confirme. Cette tragédie a d’ailleurs amené le co-président de la Commission Bouchard-Taylor à soumettre une réflexion sur les dérapages de son entreprise et admet qu’elle a eu des effets désastreux sur le vivre-ensemble.
Nous, Québécois-e-s, devons apprendre de cette dernière décennie et cesser de se voiler la face. La majorité québécoise a exprimé sa volonté à rejeter la laïcité de type fermée proposée par la Charte des valeurs, et cela a justement mené à la défaite du Parti québécois. Si le vivre-ensemble est réellement ce qui préoccupe le gouvernement, un travail d’éducation populaire sur les stéréotypes entraînant les crimes haineux s’impose comme voie de réconciliation.