Le Québec, ce grand pauvre idiot

mercredi 10 avril 2013, par Marie-Ève Mathieu

Il est toujours intéressant de retrouver les mêmes images utilisées par des rédacteurs dont les positions idéologiques sont distantes. Ainsi, les articles de Michael Binnion, paru dans La Presse , et celui de Jacques Noël, paru sur le site de Vigile.net sont taillés dans la même étoffe. Tous les deux, pour des raisons différentes, l’une strictement commerciale et l’autre foncièrement nationaliste, prônent l’exploitation du pétrole et du gaz au Québec. Selon ces messieurs, ne pas exploiter ces ressources équivaut à se faire crosser ou à devenir les BS du Canada. Autrement dit, réfléchissons le moins possible et lançons-nous dans une exploitation coûteuse, risquée et sans être sûrs que les bénéfices seront au rendez-vous.

On connaît tous la loi de l’offre et de la demande : quand l’offre dépasse la demande, les prix baissent. Les États-Unis sont à la veille d’être autosuffisants, grâce à de nouveaux gisements découverts dans le golfe du Nouveau Mexique et dans le Nord-Ouest sous la forme de pétrole de schiste. Ces gisements sont plus importants que ceux de l’Arabie Saoudite, il y a de quoi rêver ! MAIS, il y a plusieurs hics.
Premièrement, les gisements non traditionnels (soit ceux sous la mer ou dans la roche mère) ne sont pas aussi rentables que ceux d’autrefois, parce qu’il est plus difficile d’aller les exploiter et qu’on ne réussit qu’à extraire une infime partie de pétrole ou de gaz. Donc, ce n’est pas l’Arabie Saoudite, ce n’est pas non plus le même type d’exploitation. William C. Ramsay, directeur exécutif adjoint à l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) de 1999 à 2008, nous apprend que « le problème reste que l’on ne peut exploiter seulement 4 à 5% du contenu, car nous extrayons uniquement le pétrole sous forme d’huile dans la roche et non sous forme de kérogène. » Le reste finira inévitablement par se déverser ou se diffuser dans la terre, la mer ou l’air, parce qu’il n’existe aucun bouchon suffisamment efficace pour empêcher ces matières toxiques de migrer avec le temps. Il y aura pollution, ce n’est pas une spéculation, c’est un fait. Cela prendra peut-être un siècle à se produire, mais ça arrivera.

Deuxièmement, les agents économiques en place vont faire concurrence. Si l’Alberta n’arrive plus à écouler son pétrole de manière rentable aux États-Unis, elle cherchera d’autres marchés. Si le marché du Sud est autosuffisant et que celui de l’Ouest est en surproduction, qu’arrivera-t-il quand nous serons prêts à mettre notre produit en marché ? Le Québec n’a pas d’infrastructures, pas d’expertise dans le domaine pétrolier et il veut battre les Américains et les Albertains sur leur terrain ? Bien voyons. Et le gouvernement fédéral n’y verrait pas l’occasion d’intervenir ? Un peu de péréquation ne serait pas un gros sacrifice, si cela permet à l’Alberta d’écouler sa production. D’ailleurs, le scénario de Binnion est loufoque : proposer de couper la péréquation pour se constituer à l’Est un compétiteur, cela n’a aucune logique sur le plan stratégique pour le Canada.

Troisièmement, si nous exploitons nous aussi et que nous en arrivons à de la surproduction à l’échelle continentale, va-t-on financer l’extraction du pétrole comme on le fait pour l’électricité (à cause de la mauvaise planification faite par Hydro-Québec) ? C’est tout à fait possible si le gouvernement prend des parts dans les compagnies. S’il ne le fait pas, les entreprises crèveront de cette « saine » compétition, laisseront des puits à moitié frackés et des gens sur le chômage, encore.
En ce sens, Monsieur Noël a raison, le dossier énergétique au Québec est fou raide, pour reprendre son expression. Ce qu’il faut, au lieu de se lancer à l’aveuglette dans l’extraction et l’exploitation, c’est de faire un bilan de nos forces et nos faiblesses énergétiques et d’en arriver à un plan concerté. Nous avons trop d’électricité, mais si nous électrifions les transports en commun, l’opération pourrait s’avérer rentable et diminuer nos besoins en pétrole. Arrêtons de pourfendre les écologistes, de nous comparer à de pauvres diables vivant de l’aide sociale (faut-il être triste sire, riche et méprisant, pour utiliser ce genre d’images, surtout ces derniers mois, alors que l’on maltraite au Canada et au Québec les gens qui ont le malheur de perdre leur emploi ou de ne pas réussir à en trouver) et réfléchissons. Pensons à un plan cohérent, nous en sommes capables, nous ne sommes pas les idiots que l’on se plaît à nous décrire.


Marie-Ève Mathieu est présidente du comité de mobilisation gaz de schiste de la Vallées des Patriotes et membre du RIGVSL.

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