
« Je n’ai jamais songé à partir, même au pire moment. Je ne pourrais pas. Et j’ai le privilège de vivre de mon écriture. Le plus dur pour moi serait de vivre ailleurs, d’être étranger. » C’est en ces termes que s’exprimait Leonardo Padura, dans une entrevue accordée récemment au journal français Libération.
Connu surtout pour ses polars, Padura signe ici une œuvre toute en nuance et subtilité. Fernando, un intellectuel cubain, contraint à l’exil dans sa jeunesse à cause d’une trahison incertaine et inconnue, revient dans l’île 20 ans plus tard à la recherche d’un manuscrit du célèbre poète cubain José Maria Heredia, mort en exil au XIXe siècle. Du coup, Fernando cherche aussi à faire la lumière sur son passé. Ainsi, le lecteur passe d’une époque à l’autre : celle de la lutte pour l’indépendance de l’île, celle de la dictature de Machado et de la mainmise américaine, et enfin, celle de la désillusion, de l’après révolution, où le dollar règne en roi et maître.
On sent l’amertume de l’écrivain, qui a certes fait le choix de demeurer sur l’île, mais envers et contre tout. S’il a le privilège de vivre de ses droits d’auteurs, c’est aussi qu’il publie à l’extérieur. D’où la nuance et la subtilité dans chacun des mots qu’il écrit, ce jeu de miroir entre Fernando, écrivain d’aujourd’hui et le poète d’autrefois, José Maria Heredia. Leonardo Padura explique comment un écrivain, comme lui, peut continuer de vivre dans l’île. C’est simple, c’est comme au base-ball : « Les règles sont nombreuses et compliquées. On peut les transgresser, les pervertir. Mais il ne faut jamais passer les limites du terrain. Quand l’arbitre siffle, il est trop tard. »
Certains pourraient conclure que cela fait une œuvre diluée, sans substance, tant on ose peu dire ce que l’on veut dire, directement, pleinement. Il n’en est rien. Bien au contraire, cela crée une atmosphère permanente de torpeur et d’incertitude, qui donne tout son poids à l’enchevêtrement d’histoires qui composent ce roman. C’est l’île du dedans qui nous est contée.