Quand les changements seront effectifs, dans un an, l’hôpital de l’Enfant-Jésus situé à Caraquet ne sera plus ouvert que 12 heures par jour. Il perdra également son urgence au profit de l’hôpital de Tracadie-Sheila, situé dans le comté du ministre de la Santé, Elvy Robichaud.
Pour le Dr Paul L’Écuyer de Caraquet, la situation va devenir intolérable. « Quelqu’un qui fait un infarctus à Caraquet le soir va avoir le temps de crever avant d’arriver à l’hôpital », commente-t-il. Il s’inquiète de voir les services de chirurgie et d’obstétrique relocalisés à Bathurst, à quelque 75 kilomètres de Caraquet. « Il y a déjà des gens qui font 70 à 75 kilomètres seulement pour se rendre à l’hôpital de l’Enfant Jésus, raconte le médecin. […] En hiver les routes sont souvent barrées. Qu’est-ce que les femmes vont faire en plein hiver, à 150 kilomètres de Bathurst ? Accoucher dans la cour chez-elles ? »
La situation est similaire dans la Vallée de la rivière St-Jean, au sud-est de la province. À Woodstock, on fermera complètement le Carleton Memorial Hospital. Les services seront désormais centralisés dans un seul établissement à Hartland, à une vingtaine de kilomètres de là. Le maire de Woodstock, Randy Leonard, est outré. « Il y a un hôpital dans la ville de Woodstock depuis plus de 125 ans. […] Si nous perdons notre hôpital, l’impact sera dévastateur aussi bien sur le plan social qu’économique », tonne-t-il.
À son avis, il est clair que le gouvernement conservateur est en train de se mettre les communautés rurales à dos. « Les communautés rurales représentent près de 50 % de la population du Nouveau-Brunswick, a déclaré le maire Leonard à la station locale de la CBC. Nous avons l’impression que le gouvernement provincial a pris la tangente d’un système de santé urbain et que la population rurale sera laissée de côté. »
Les citoyens s’organisent
Depuis un mois, le maire de Woodstock préside la New-Brunswick Rural Health Care Coalition, un groupe de pression qui regroupe à la fois des anglophones, des francophones et des membres des Premières nations. La coalition espère canaliser l’énergie des communautés touchées par la réforme pour faire reculer le gouvernement.
Déjà, les manifestations régionales ont cédé le pas à des rassemblements provinciaux où les slogans fusent dans les deux langues officielles. Le 31 mars à Frédéricton, près de 1 000 personnes se sont massées devant le parlement néo-brunswickois pour demander au ministre Robichaud de revenir sur sa décision. « Et il y aura d’autres manifestations, assure Leonard. Nous n’abandonnerons pas sans lutter. »
De son côté, le maire de Caraquet, Antoine Landry, également membre de la coalition, est déterminé à utiliser la voie judiciaire pour sauver son hôpital. Le 29 mars, l’avocat de la municipalité, Marc Gauvin, a annoncé à la presse que Caraquet fera une requête en révision judiciaire pour annuler la décision du ministre. L’avocat entend démontrer que la Régie de la santé et le ministre n’ont pas suivi les procédures établies dans la Loi sur les régies régionales de la santé. Il compte également faire valoir que la décision ne respecte pas la loi néo-brunswickoise sur les langues officielles. Selon lui, les services en français ne seront pas assurés à Bathurst.
Pour le Dr L’Écuyer, ces démarches visent surtout « à gagner du temps ». La stratégie de Caraquet, selon lui, est d’abord de retarder l’application du plan de restructuration en prévision de l’élection d’un gouvernement libéral plus favorable à leurs doléances. Des élections qui, dans un gouvernement majoritaire par un siège seulement, pourraient survenir plus tôt que prévu.
« [Les conservateurs] sont finis. S’il y avait une élection demain, ils seraient battus. Les gens sont très fâchés ici », affirme le maire de Woodstock. Le président de la New-Brunswick Rural Health Care Coalition compte sur les libéraux pour changer la donne.
Toutefois, même si ces derniers semblent vouloir appuyer les ruraux, il n’est pas dit qu’un changement de garde renversera forcément la vapeur. Comme le souligne la chroniqueuse du Telegraph-Journal, Lisa Hrabluck, le chef de l’opposition est d’accord avec la conversion d’hôpitaux en centres de santé communautaires. En fait, selon leur plate-forme électorale, écrit-elle, « si les libéraux avaient été élus, ils auraient établi 16 centres de santé communautaires en deux ans. Neuf de plus que ce que les conservateurs ont annoncé jusqu’à présent. »
Une certitude demeure néanmoins, l’accès à des soins de santé adéquats pour les populations rurales du Nouveau-Brunswick jouera un rôle déterminant dans l’avenir politique de la province du premier ministre Bernard Lord.