Chronique

Le Martien et les accommodements raisonnables

mercredi 26 septembre 2007, par Francis Dupuis-Déri

Rapport de mission d’observation. Je suis sur la planète *#X ?b7%*, pas très loin du pôle Nord, dans une région peuplée d’individus sympathiques. Malheureusement, plusieurs sont affectés par une épidémie d’anxiété qui s’exprime par des hallucinations collectives. Ils s’imaginent confrontés à des « vagues massives d’immigration » qui « menacent l’identité de la majorité » qui devrait alors se mobiliser « pour résister » et « ne pas mourir ».

Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre quel était l’enjeu. Les habitants de la planète *#X ?b7%* ne se considèrent pas tous membres de la même communauté. Ils ont divisé leur planète en zones. Les gens qui viennent d’une autre zone sont des « étrangers ». On les reconnaît semble-t-il au ton de leur épiderme ou à leur manière de se vêtir.

Les habitants de la planète *#X ?b7%* accordent une grande signification à la densité de la pigmentation de leur épiderme. Leur épiderme n’est pas d’un vert uniforme, comme sur Mars. Il semble que chez cette espèce, le ton de l’épiderme a un effet direct sur la perception de soi : plus l’épiderme est pâle et plus on se croit supérieur aux autres.

Plus étrange encore, plusieurs habitants de la planète *#X ?b7%* croient que l’univers a été créé par quelqu’un, qu’ils nomment « dieu ». Cet individu aurait un impact important même après leur mort (ils pensent leur esprit indépendant de leur corps biologique). Si ce n’était que cela... Chaque groupe est convaincu de savoir qui est le vrai « dieu », alors que les autres groupes seraient dans l’erreur, et vice-versa. Ce n’est rien encore.

La majorité que j’observe prétend qu’elle a constitué une société où il ne faut pas exprimer publiquement la croyance en dieu. Pourtant, des cités, des rues et des cours d’eau sont désignés par des noms d’individus légendaires (appelés des « saints ») qui auraient eu un rapport privilégié à son « dieu ». Il y a aussi une grande croix lumineuse tout en haut de la colline de leur cité la plus importante, qui représente le fils du dieu de cette majorité. Plusieurs fêtes rituelles sont célébrées, lors desquelles personne ou presque ne travaille.

Même si la majorité exprime ainsi sa croyance en dieu, elle reproche à la « masse d’immigrants » de lui imposer ses dieux. Ainsi, des femelles portent des foulards sur la tête et de jeunes mâles des couteaux à la ceinture. C’est le signe d’une invasion. J’ai cru à une véritable invasion lorsqu’il a commencé à faire très froid, parce que tout le monde portait un foulard. J’ai aussi paniqué quand j’ai vu des habitants se promenant avec des armes à feu à la ceinture, dans des véhicules avec des lumières éblouissantes sur le toit. Mais cela semble normal.

Dans les faits, il n’y a environ que 2 % à 3 % d’« étrangers » dans la zone que j’observe. J’ai même survolé des villages où il n’y en avait aucun (zéro), mais qui résistaient tout de même pour ne pas mourir. Je n’ai trouvé aucun « étrangers » à la tête des organisations importantes, comme les grandes cités, les entreprises, les fédérations de travailleurs et de travailleuses, les grandes écoles et l’armée.

Le plus curieux, dans toute cette affaire, c’est que ce vent de panique est apparu au moment même où des milliers de guerriers sont partis faire la guerre dans une zone lointaine. À se croire envahi par des vagues imaginaires d’immigration, la majorité en oublie presque que c’est elle qui envahit une autre zone.

Conclusion et recommandation : je conseille aux Martiens de se tenir loin de cette planète. Nous y serions sans doute mal accueilli.

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Partagez cet article sur :

  •    

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca