Le Canada suit l’exemple des États-Unis et jette de l’huile sur la glace

vendredi 22 avril 2005, par Batiste W. FOISY

En février, était présenté à Yellowknife le documentaire Oil on Ice, des réalisateurs américains Bo Boudart et Dale Djerassi, lauréats en 2004 du prix Pare Lorentz, remis par L’Internatinal Documentary Association. Le film porte sur les incidences de l’exploitation minière dans l’Arctique américain, sur l’environnement et les autochtones, alors même que le Canada s’apprête à ouvrir le delta et la vallée du fleuve Mackenzie dans les Territoires du Nord-Ouest au développement pétrolier et gazier.

Yellowknife - Après le Nord de l’Alaska, le Sénat américain vient de voter en faveur de l’exploitation pétrolière dans l’Arctic National Wildlife Refuge (ANWR), une grande plaine qui abrite l’aire de mise bas d’un des plus importants troupeaux de caribous au monde, et qui est également un lieu sacré pour la nation Gwich’In. C’est pour répondre aux supporters du projet et à leurs allégations à l’effet qu’il n’y a rien à protéger dans l’ANWR, que Bo Boudart et Dale Djerassi ont tourné Oil on Ice. Le réalisateur Bo Boudart, qui a fait le voyage de Yellowknife, raconte avoir voulu « démontrer que l’ANWR était d’abord un milieu de vie et que son forage aurait un impact important sur la faune et la flore, mais aussi sur les autochtones qui en vivent. »

Ainsi, en plus des images de la vie grouillante de l’ANWR, Oil on Ice montre les conséquences du développement pétrolier déjà effectué ailleurs dans le Nord de l’Alaska. De visu, on constate les plaies laissées par l’industrie sur le territoire des Inupiats, des méandres de l’oléoduc qui scinde l’Arctique américain aux images désolantes du naufrage de l’Exxon-Valdez.

Le verdict est sans appel : le développement pétrolier tue et il tuera aussi quand les premiers puits seront forés dans l’ANWR.

Ayant vécu en Alaska une dizaine d’années, Bo Boudart connaît bien le Refuge. Dans les années 1990, il y a tourné un documentaire sur la migration des espèces du Grand Nord. Ses archives personnelles regorgent d’images luxuriantes de caribous, de bœufs musqués, d’oies, de renards et de grizzlys. À dessein, dans Oil on Ice, il juxtapose ces images à celles de sénateurs et de congressistes qui affirment, en pointant cyniquement un carton blanc, que c’est à ça que ressemble la toundra.

« Nous voulons montrer à tous ces gens qui n’ont jamais entendu parler de cet endroit ou qui ignorent ce qui s’y trouve, qu’il y a de la vie là-bas et qu’elle mérite d’être protégée. [...] Les politiciens désinforment le public pour lui donner l’impression que l’ANWR est un désert et pour les convaincre qu’il n’y a pas de mal à le forer. Mon but est de répondre à ces mensonges. »

Avertissement aux Canadiens

C’est la cinéaste France Benoît, membre du groupe Ecology North, qui a invité Boudart à présenter son film aux TNO en février. Pour la première fois, celui-ci était donc projeté à l’extérieur des États-Unis. L’initiative de madame Benoît était loin d’être innocente. Car tout comme en Alaska, la classe politique canadienne s’apprête à ouvrir le delta et la vallée du fleuve Mackenzie au développement pétrolier et gazier. Si tout se déroule comme prévu, le projet gazier du Mackenzie et son gazoduc de 1 300 kilomètres seront complétés d’ici la fin de la décennie.
La cinéaste estime que les Canadiens devraient prendre Oil on Ice comme un avertissement. « Quand j’ai vu ça, je me suis dit “c’est exactement ça, c’est ça qui va arriver ici” », commente celle qui tourne présentement un documentaire sur le projet gazier du Mackenzie.

De son côté, le réalisateur d’Oil on Ice est bien conscient qu’en présentant son film dans l’Arctique canadien, il donne un coup de main aux critiques du projet gazier. Il espère que la projection influencera l’opinion des Ténois et plus particulièrement celle des autochtones. Il explique que dans la région du North Slope en Alaska, les Inupiats se sont organisés en corporations pour pouvoir bénéficier du développement gazier. Cependant, ajoute-t-il, « en dépit des profits réalisés par les corporations, cet argent n’a pas profité à l’ensemble de la communauté, mais simplement aux quelques-uns d’entre eux qui étaient les leaders des corporations. »
« La culture de ces personnes a aussi été affectée, poursuit le cinéaste. Cela se manifeste par une augmentation des abus de drogue et d’alcool, et de la criminalité. Il y a aussi une perte d’intérêt de la part des Inupiats de s’adonner à leurs activités traditionnelles que sont la chasse, la pêche et la cueillette. »

À l’issue de la projection à Yellowknife, Bo Boudart s’est dit comblé de l’accueil du public, mais a aussi admis qu’il regrettait que l’audience ait été principalement composée de non-autochtones qui ne vivront pas personnellement les effets du projet gazier du Mackenzie. « J’aimerais bien pouvoir présenter le film directement dans les communautés de la vallée du Mackenzie, confie le réalisateur. Je pourrais inviter des Inupiats pour qu’ils parlent de leur expérience avec les autochtones de votre coin de pays. » L’idée est lancée.


Oil on Ice, de Bo Boudart et Dale Djerassi, Sierra Production, 2004.
www.oilonice.org

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Partagez cet article sur :

  •    
Articles de la même rubrique

Volume 11 - No. 07

Que fera le Hezbollah ?

Articles du même auteur

Batiste W. FOISY

Le retour de la démocratie primitive

Articles sur le même sujet

Autochtones

Le sang de la terre - Épisode 2 - Carlos Choc (2/3)

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca