Le Canada n’est pas à la hauteur de sa réputation

mercredi 26 juin 2002, par Daphnée DION-VIENS

Après plusieurs années d’absence, le Canada est réapparu dans l’édition 2002 du rapport annuel d’Amnistie internationale (AI). L’organisation lui reproche de ne pas respecter ses engagements en matière de protection des droits humains

Les droits de la personne se sont fragilisés au cours de l’année 2001. Depuis le 11 septembre, l’attitude de divers gouvernements indique une volonté de reconsidérer leurs engagements en matière de droits humains, souligne Amnistie. Une situation qui se reflète chez nous, puisque le gouvernement fédéral a lui aussi adopté des mesures qui menacent les droits individuels.

« Le Canada a une excellente réputation sur le plan international [...] mais quand vient le temps à la maison d’avoir une conduite cohérente qui va dans le même sens que ce qu’il prône à l’étranger, ce n’est pas toujours évident », affirme Michel Frenette, directeur de la section francophone d’Amnistie internationale.

Refoulés à la frontière

En matière d’immigration et d’accueil des réfugiés, deux décisions du gouvernement canadien préoccupent particulièrement l’organisation. En vertu de la nouvelle loi C-11 sur l’immigration et le statut des réfugiés (qui vient d’entrer en vigueur, le 28 juin), « certains groupes pourraient être retournés vers des pays où ils risquent d’être torturés ou expulsés du Canada sans que les risques qu’ils encourent ne fassent l’objet d’un quelconque examen », peut-on lire dans le rapport.

Par ailleurs, cette même loi devait intégrer une mesure fort attendue, un véritable droit d’appel pour les réfugiés. Le ministre a récemment annoncé un report d’une durée indéterminée de l’application des dispositions relatives au droit d’appel, en invoquant le manque de ressources. « Cette décision prise sans consulter le Parlement équivaut à un recul inacceptable par rapport au système actuel », affirme M. Frenette.

Les discussions entourant l’accord sur le partage des responsabilités avec les États-Unis sont aussi une source d’inquiétude. Les demandeurs d’asile qui proviennent du territoire américain (qui représentent 40 % de toutes les demandes) se verraient automatiquement refoulés à la frontière. Amnistie internationale craint qu’un bon nombre de ceux à qui on refusera l’entrée au Canada courent des risques de détention arbitraire prolongée. Des femmes revendiquant le statut de réfugié par crainte de violence liée à leur identité sexuelle risque d’essuyer un refus, alors que leurs demandes seraient probablement acceptées au Canada. Les revendicateurs sans papier d’identité en règle verraient leur sort décidé sans avoir accès à un avocat ou aux conseils d’un organisme non gouvernemental.

Avec cet accord, « le Canada va peut-être régler son surplus de demandes, mais ce sera au prix de violations très probables des droits de ces demandeurs », conclut le directeur de la section francophone d’Amnistie internationale. « Notre pays s’inscrit dans une tendance mondiale où les politiques en matière d’asile privilégient toujours davantage les moyens d’empêcher les gens d’entrer plutôt que d’essayer de mettre en place une protection efficace des personnes fuyant la répression. »

Sécurité et droits humains

Adoptée en décembre dernier, la loi antiterrorisme C-36 introduit d’importantes modifications en matière d’arrestation et de détention, malgré les amendements qui y ont été apportés. Amnistie internationale craint que cette nouvelle loi « ne porte atteinte au droit de bénéficier d’un procès équitable et entraîne de graves conséquences pour certains groupes ethniques et religieux ».

Cette mesure législative est complétée par la loi C-35, qui rend l’immunité accessible à toute personne qui assisterait à une rencontre internationale au Canada, ainsi que par la loi C-55, qui accorde au ministre le pouvoir de désigner des zones militaires d’accès limité. « Ces lois demeurent susceptibles d’application très large, alors que leur nécessité n’a jamais été démontré », affirme le directeur d’Amnistie au Québec.

Le rapport dénonce au passage le « recours à une force excessive » contre des personnes qui manifestaient à l’occasion du Sommet des Amériques à Québec, et rappelle que lors de cette même rencontre, les chefs d’État ont rejeté le principe de la primauté des droits humains sur les accords commerciaux, une position partagée par le gouvernement canadien. Douze ans après avoir rejoint l’Organisation des États américains, le Canada n’avait toujours pas ratifié un seul des six traités régionaux en matière de droits de la personne. Amnistie internationale exhorte le gouvernement canadien à ratifier ces conventions le plus rapidement possible.

Programme

Toutes ces critiques et recommandations sont contenues dans un document intitulé Pour une sécurité véritable : un programme canadien relatif aux droits humains qui a été présenté au ministère des Affaires étrangères. Michel Frenette considère que le gouvernement canadien a fait preuve d’une « attitude polie de réceptivité » envers le document, mais il s’interroge sur l’application concrète des recommandations.

Du côté du ministère des Affaires étrangères, la porte-parole Nancy Bergeron affirme que « le travail d’Amnistie internationale sera pris en considération lors de l’élaboration de la politique des droits humains du gouvernement canadien, mais on ne peut affirmer à ce moment si les recommandations seront appliquées ».

Même si le Canada jouit d’une excellente réputation sur le plan international, il y a place à l’amélioration. Michel Frenette rappelle que « les droits humains ne sont pas un obstacle à la sécurité, ils en sont le fondement même. La sécurité n’est possible que dans le respect des droits et de l’autorité de la loi. »

À propos de Daphnée DION-VIENS

Assistante à la rédaction, Journal Alternatives

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