Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Le Canada envers et contre tous

mercredi 26 septembre 2007, par Ghislain PICARD

Le 13 septembre dernier, la fébrilité était à son comble au sein des populations autochtones et des défenseurs des droits humains du monde entier. Après plus de vingt années de négociations houleuses, l’Assemblée générale des Nations unies procédait à l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Au terme d’un vote final éloquent, le document a été adopté par une majorité écrasante de 143 voix, alors que seulement 4 pays s’y opposaient et que 11 s’abstenaient. Il s’agit cependant d’une victoire amère pour les populations autochtones du Canada : en votant contre la Déclaration aux côtés des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, le gouvernement conservateur prouvait que les vestiges d’une marginalisation historique étaient encore bien présents.

Pour 143 États, l’adoption de la Déclaration constitue le dénouement logique d’une lutte acharnée pour la reconnaissance des droits fondamentaux de plus de 370 millions d’autochtones à travers le monde. En effet, la Déclaration contribue au renforcement du système international des droits humains dans son ensemble en soutenant les principes internationaux fondamentaux et en assurant le respect des traditions, de la culture et d’un développement axé sur l’identité propre aux populations autochtones. Elle est donc l’instigatrice de normes minimales nécessaires à la survie et au bien-être des peuples autochtones du monde.

Il semble que le Canada n’entrevoit pas les choses de cette manière. Avant le vote final à l’Assemblée générale, John McNee, ambassadeur du Canada à l’ONU, a fait le point sur la position canadienne. Il réitérait le fait qu’aucune ouverture ne serait possible tant que le libellé de la Déclaration conserverait sa forme actuelle.

Le Canada fait valoir notamment l’incompatibilité de la Déclaration avec le contexte constitutionnel canadien. L’argument présenté soutient que la Déclaration remettrait en cause certaines décisions de la Cour suprême, qu’elle entrerait en conflit avec le mode de négociation des traités ainsi qu’avec les obligations du Canada à l’égard des populations autochtones. Elle serait également inconciliable avec la Loi sur la Défense nationale. Un argument totalement démenti par les ministères des Affaires étrangères, des Affaires indiennes et de la Défense, qui ont eux-mêmes recommandé l’adoption de la Déclaration au premier ministre en 2006. La position canadienne n’est donc pas le fruit d’une incompatibilité juridique, mais plutôt le résultat d’une position politique adoptée par le gouvernement conservateur.

En développant un argumentaire basé sur l’incompatibilité de la Déclaration avec le contexte juridique canadien, le gouvernement renforce le statu quo des institutions et le cadre juridique actuel. Ainsi, les peuples autochtones continuent d’être assujettis à la Loi sur les Indiens, une loi coloniale vivement contestée par les défenseurs des droits humains en raison de son caractère désuet et rétrograde.

Par ailleurs, la Déclaration ne crée aucun nouveau droit, le document étant plutôt destiné à développer les normes existantes en matière de droits humains. Alors, pourquoi un pays qui se targue d’être un champion des droits de l’Homme aurait-il peur de jongler avec des normes universelles existantes pour lesquelles il a déjà consenti ? Évidemment, une adhésion à la Déclaration nécessite une volonté de mise en œuvre qui passe par l’octroi de ressources essentielles à une restructuration sociale et institutionnelle. Une volonté qui n’est manifestement pas partagée par le gouvernement actuel.

Parmi les libellés de la Déclaration qui sont "problématiques", soulignons l’article 26 qui stipule que les « peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis ». Le Canada craint que le texte provoque la réouverture des traités historiques et modernes et qu’il permette « d’appuyer des revendications déjà réglées ». Nous pensons toutefois que cet article est fondamental et nécessaire dans un pays où les revendications territoriales prennent de nombreuses années avant d’obtenir un écho de la part du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Sans compter que la grande majorité des griefs n’ont, pour leur part, encore jamais reçu de réponse.

L’article 19 est une autre disposition importante. Celle-ci aborde la nécessité d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des populations autochtones avant d’adopter des législations susceptibles de les concerner. À ce titre, le gouvernement clame que le libellé permet l’octroi d’un veto qui pourrait engendrer des déséquilibres entre les droits des peuples autochtones et des non autochtones. Nous croyons qu’il s’agit d’une question de respect minimal de nos droits et de nos intérêts. Comment le gouvernement peut-il, d’une part, prétendre reconnaître les droits des peuples autochtones (y compris le droit à l’autonomie gouvernementale) et, d’autre part, continuer de développer les territoires comme si nous n’existions pas ? Dorénavant, les gouvernements devront faire plus que tenir de beaux discours, ils devront passer de la parole aux actes.

Rappelons qu’au Canada les peuples autochtones représentent 3,4 % de la population, ce qui équivaut à plus d’un million d’individus. Parmi ces collectivités, le taux de chômage, la mortalité infantile, la sous-scolarisation et les problèmes de logement sont plus élevés que partout ailleurs au pays. La communication entre le gouvernement et la population est donc primordiale et des efforts doivent être entrepris pour favoriser le dialogue.
Il est temps que le Canada fasse preuve d’une plus grande moralité et de plus d’humanité à l’égard des peuples autochtones. La solidarité est de mise, notamment au sein de l’Assemblée nationale du Québec où les députés sont conviés à exprimer leurs distances par rapport au gouvernement central. Quoi qu’on en dise, il sera toujours temps, pour le Canada, de renouer avec sa réputation de leader en matière de droits de l’homme et d’adopter la Déclaration.


L’auteur est Chef de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador

À propos de Ghislain PICARD

Chef de l’Assemblée des premières nations du Québec et du labrador

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