C’est la présidente de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies, Mme Victoria Tauli-Corpuz, qui a accusé le Canada de saboter des initiatives entamées à l’OEA. Lors d’une conférence de presse au début mai, elle a soutenu que le Canada avait longtemps assumé le rôle de meneur dans l’élaboration de la Déclaration des droits des peuples autochtones de l’ONU, mais que les choses avaient complètement changé à la suite de l’élection du gouvernement conservateur en 2006.
Selon elle, la réputation du Canada est maintenant « très mauvaise » en ce qui concerne les questions liées aux autochtones.
Le Canada est le seul pays avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande à avoir voté contre la Déclaration des droits des peuples autochtones à l’ONU le 13 septembre dernier. Fait à noter, ces quatre pays comptent d’importantes communautés autochtones avec qui ils doivent négocier.
Cette position est d’ailleurs très critiquée. Le 8 avril, la Chambre des communes a adopté une motion exigeant du gouvernement qu’il applique les principes énoncés à l’ONU. Le 1er mai, le même jour que la sortie de Mme Tauli-Corpuz, une lettre signée par une centaine de représentants du milieu juridique et universitaire a également été rendue publique afin de dénoncer la position canadienne aux Nations unies.
Selon Peter Leuprecht, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal et professeur au Département de sciences juridiques de l’UQAM, aucune des raisons invoquées par Ottawa ne tient la route. À son avis, l’argument selon lequel la Déclaration est en contradiction avec la Constitution canadienne n’a jamais été étayé. Il n’a pas non plus été juridiquement prouvé qu’elle donnerait un droit de veto aux Premières nations. Quant au fait qu’elle sonnerait la primauté du droit collectif au détriment des droits individuels, M. Leuprecht juge qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. « La Charte canadienne des droits de la personne reconnaît déjà les droits des minorités linguistiques et des peuples autochtones », rappelle-t-il.
Les conservateurs craignent en fait que les autochtones ne se servent de la Déclaration pour demander l’autonomie. Ghislain Picard, chef régional de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador assure pourtant que « même dans les pires tourments, on n’a jamais indiqué qu’on voulait se séparer ». De plus, la crainte d’une sécession demeure théorique, car comme le souligne M. Leuprecht, « le texte des Nations unies n’a aucune force juridique contraignante, c’est du soft law, ça a une valeur morale ».
Un dur coup pour les Amérindiens
Le refus du Canada d’appuyer la Déclaration des droits des peuples autochtones a profondément choqué les Premières nations. « C’est une honte pour le Canada qui prétend défendre les droits de l’homme, s’exclame-t-on à l’organisme Femmes autochtones du Québec. Dire que le droit des autochtones va contre les droits humains, ça n’a aucun fondement ».
Les représentants des Premières nations s’entendent pour dire que c’est un important recul dans les négociations avec le fédéral. Selon M. Picard, la position des conservateurs démontre leur manque de volonté à régler les inégalités socioéconomiques dont sont victimes les autochtones.
Le 29 mai, une journée de mobilisation nationale a d’ailleurs lieu pour réclamer des mesures contre la pauvreté chez les communautés des Premières nations. Celles-ci dénoncent les conditions inhumaines dans lesquelles vivent nombre d’autochtones. Selon Statistique Canada, 11 % d’entre eux habitent dans des logements surpeuplés. C’est quatre fois plus que chez le reste des Canadiens. Le quart des autochtones résident également dans des logements insalubres. Dans d’autres cas, c’est l’accès à l’eau potable qui est problématique. En 2006, 193 réseaux d’eau potable étaient considérés comme dangereux dans les réserves. Le gouvernement fédéral va d’ailleurs investir 330 millions sur deux ans afin de régler la situation.
Parallèlement, les Premières nations doivent gérer l’importante croissance de leur population. Près de la moitié est âgée de moins de 25 ans. Les problèmes de toxicomanie, d’alcoolisme, de violence conjugale et de chômage sont beaucoup plus fréquents chez les autochtones, mais les ressources ne suivent pas. Tant de problèmes qui ne se régleront pas sans un appui important des gouvernements, soutient M. Picard.
Revendications territoriales et enjeux environnementaux
Les revendications territoriales sont aussi au cœur des préoccupations de l’Assemblée des Premières nations. Certaines font l’objet de négociations avec Ottawa depuis des décennies et sont liées à d’importants enjeux économiques. Les communautés autochtones doivent maintenant négocier non seulement avec les gouvernements, mais avec les compagnies qui lorgnent les ressources naturelles de leurs territoires.
C’est le cas des nations algonquines Ardoch et Sharbot Obaadjiwan, dans l’est de l’Ontario. Depuis juin 2007, elles tentent d’empêcher la compagnie d’exploration et d’exploitation d’uranium Frontenac Ventures de prospecter sur une zone de 120 km2 dans la région de Sharbot Lake. Les deux communautés ont bloqué l’accès au site et veulent faire reconnaître ce territoire comme terres ancestrales. Depuis, elles sont soumises à une injonction de la cour interdisant l’occupation de cette zone. Des groupes environnementalistes se sont joints aux deux nations dans leur combat. Ils craignent la destruction de la nature ainsi que les risques de contamination au radon, un gaz radioactif.
David Welch, professeur à l’École de Service social de l’Université d’Ottawa, était présent lors d’un séminaire sur le droit des autochtones et le déploiement des transnationales minières, le 15 mai à l’UQAM. Selon lui, Shabot Lake est l’exemple d’un combat qui dépasse la revendication des territoires ancestraux pour devenir un enjeu universel : celui de la protection de territoires vierges contre des exploitations menaçant les écosystèmes.
Le combat des nations Ardoch et Shabot Obdaadjiwan s’apparente en effet à ceux d’autres populations indigènes à travers le monde. Trois de ces nations étaient de passage à Montréal lors du séminaire de l’UQAM. Les représentants des communautés autochtones Diaguita du Chili, Wiradjuri d’Australie et Ipili de la Nouvelle-Guinée sont venus dénoncer les pratiques de Barrick Gold, la plus grosse société aurifère du monde. La multinationale canadienne est accusée par les trois groupes d’avoir recours à la violence contre les populations locales et de pratiquer des méthodes d’exploitation dangereuses pour l’environnement et la santé humaine.
Les pratiques de transnationales canadiennes viennent ainsi noircir le portrait du Canada, une image déjà ternie par l’inertie du gouvernement conservateur en ce qui concerne l’environnement et les Premières nations.