Le concept de logiciel libre, ou « free software » en anglais, est apparu au début des années 1980. Le logiciel libre se veut en quelque sorte un renversement du droit d’auteur qui garantit l’accès au code source plutôt que de l’interdire. La Fondation pour le Logiciel Libre2 définit le logiciel libre par quatre libertés : exécuter, modifier, redistribuer le logiciel, et distribuer des copies modifiées du logiciel.
Le logiciel libre est également connu sous le nom d’ « open source », ou logiciel à code source ouvert en français. Ce terme, qui définit davantage le caractère technique que l’aspect éthique du projet, a été forgé pour promouvoir le logiciel libre auprès des entreprises souvent peu enchantées par l’ambiguïté anglophone du terme « free » qui signifie autant « libre » que « gratuit ».
Projecto Software Libre, organisation mobilisatrice des événements
Les premières communautés de développeurs de logiciels libres du Brésil ont été créées vers le milieu des années 1990, notamment par la création de la distribution GNU/Linux Connectiva3. C’est dans l’État du Rio Grande do Sul que le mouvement est le plus actif ; en 1999 a été fondé le Projecto Software Libre4 (projet logiciel libre - PSL) à Porto Alegre avec pour but de rassembler les différents acteurs du logiciel libre et de faire connaître les initiatives des groupes d’utilisateurs et des communautés de développeurs. Basé sur des structures tout à fait informelles, n’importe qui pouvait s’identifier au projet. Dès le début, le projet phare de PSL a consisté à réaliser le Forum international sur le logiciel libre, qui en était cette année à sa 6ième édition. Étant donné le succès de PSL dans l’état du Rio Grande do Sul, il a été décidé de former des projets similaires dans différents états brésiliens et de donner une portée pan-brésilienne à PSL pour intégrer ces sous-projets régionaux et autonomes, porteurs d’initiatives plus spécifiques. Aujourd’hui, au sein de PSL, des entités régionales aux structures très horizontales et sans instances légales coexistent avec d’autres plus formelles.
Ajouté à ce fédéralisme géographique, on retrouve au sein du PSL différents groupes de travail « transversaux ». Le premier de ceux-ci a été PSL-mulheres (femmes)5, créé par quelques femmes impliquées dans le mouvement qui souhaitaient intégrer une perspective plus féministe au logiciel libre. On retrouve aujourd’hui plusieurs de ces groupes travaillant sur des thématiques comme les aspects légaux du logiciel libre ou sa promotion au sein des différents secteurs comme l’entreprise privée, le gouvernement ou l’armée.
Le logiciel libre au sein du gouvernement brésilien
Projecto Software libre a compté dès le début sur l’implication d’acteurs clés des universités, des entreprises mais surtout du gouvernement. Plusieurs personnes impliquées depuis le début dans le mouvement du logiciel libre dans ce pays sont également militants depuis toujours au sein du Parti des travailleurs (PT), actuellement à la tête du Brésil. Cette double implication a permis d’intégrer l’usage du logiciel libre dans le programme du Parti dès sa fondation. Les militants du PT ont par la suite travaillé à établir des contacts étroits avec le mouvement du logiciel libre durant les différentes campagnes électorales du Parti.
Élu dans l’état de Rio Grande do Sul et dans certaines grandes villes comme São Paulo, puis plus tard, au niveau fédéral, le PT au pouvoir a adopté des politiques de migration massive au logiciel libre : la ville de São Paulo compte aujourd’hui une centaine de télécentres utilisant des logiciels libres. Ces politiques ne sont toutefois pas mises en place sans d’importantes résistances ; Sergio Amadeu, le plus haut fonctionnaire brésilien chargé des migrations au logiciel libre, a ainsi fait l’objet d’une poursuite de la part du géant Microsoft pour avoir comparé cette l’offre gratuite de logiciel propriétaire de la multinationale à une pratiques similaire à celle des narcotrafiquants6. De nombreux acteurs du logiciel libre au Brésil mentionne l’existence d’importants lobbies des entreprises de logiciels propriétaires séduisant députés et sénateurs afin de contrer les lois favorisant l’adoption du logiciel libre. L’entente conclue en début d’année entre l’UNESCO et Microsoft7, visant prétenduement à contrer le fossé digitale dans les pays en voie développement, n’est sans doute pas étrangère à l’adoption croissante du logiciel libre au Brésil.
Dépasser les divisions
Autant dans la salle d’exposition que dans les conférences principales, on pouvait noter une présence importante des grandes entreprises ou des organisations faisant la promotion de l’ « open source » auprès des entreprises, notamment l’ « Open Source Initiative »8. La présence d’Eric Raymond, l’un des plus important promoteur du logiciel « open source » auprès des entreprises et très controversé chez les acteurs du logiciel libre, n’est pas non plus passé inaperçue. Il semble là y avoir une volonté de dépasser les divisions traditionnelles entre une vision philosophique du logiciel libre, et une vision plus entrepreneuriale. De l’avis même des militants brésiliens s’identifiant résolument à la gauche, il apparaît nécessaire de s’allier aux entreprises pour développer le logiciel libre au Brésil, dans la mesure où le pays demeure encore une économie capitaliste. Cette alliance souhaitée semble également significative des élections fédérales qui se tiendront en 2007, où le gouvernement de Lula pourrait ne pas gagner. À plusieurs reprises dans ce forum, on a demandé à ce que les politiques du logiciel libre dépassent les lignes partisanes, comme ce fût le cas des télécentres de São Paulo qui sont demeurés en place même après le changement de gouvernement. Dans une société de plus en plus numérique, il semble que le logiciel libre, et plus généralement le libre accès à la connaissance soit un enjeu dépassant les clivages politiques traditionnels.
Autre fait marquant, on cherche de plus en plus à dépasser le simple usage pour plutôt investir le développement et par là, contribuer aux communautés du logiciel libre. Pour plusieurs participants du forum, se contenter de simplement utiliser le logiciel libre sans investir dans son développement, c’est donner des difficultés à l’adoption du logiciel libre. De nombreuses interventions, autant publiques que dans les corridors allaient dans ce sens : comment intégrer le modèle de développement du logiciel libre dans l’industrie nationale de l’informatique, comment assurer une rémunération juste pour le travail jusque là réalisé bénévolement par les hackers, cette masse de développeurs de logiciels libres. Pour beaucoup, le futur du logiciel libre passe par le développement d’un modèle économique à l’image des valeurs et du mode fonctionnement des communautés du logiciel libre.
L’inclusion digitale
« Dans un pays où 79% de la population n’a jamais vu un ordinateur, qu’est-ce que le logiciel libre peut bien apporter ? », telle fut la question posée par César Alvarez, le conseiller spécial du président brésilien, présent lors de l’événement. Surtout le fait d’une classe moyenne disposant généralement d’une très bonne formation académique, l’importance du logiciel libre dans la lutte à la pauvreté et au fossé digital demeure une question qui nécessite une plus grande réflexion. La difficulté d’étendre ce mouvement surtout technique aux sphères plus sociales n’est sans doute pas étrangère à l’absence marquée des organisations sociales lors de ce Forum sur le logiciel libre. Bien que la plupart des ONGs semblent être en accord philosophiquement avec les principes du logiciel libre, peu de ces organisations ont fait le saut et participent activement au mouvement. Beaucoup des militants du logiciels libres notaient que ce n’est que depuis cette année que le Forum Social Mondial, qui réunit presque chaque année des centaines d’organisations de la société civile dans la même ville, a adopté les logiciels libres à tous les niveaux.
Au delà des discours politiques, le forum a quand même permis de connaître certaines initiatives sociales concrètes. La deuxième rencontre « Femmes et logiciels libres », proposait ainsi de réunir différents projets reliées à la participation des femmes. Ces projets sont intéressants d’une part parce qu’ils cherchent à intégrer davantage de femmes dans la communauté du logiciel libre9, mais ils intègrent souvent des action sociales orientées vers couches de populations plus éloignées du mouvement du logiciel libre (comme les enfants, ou les personnes âgées). L’économie solidaire était un autre thème qui a fait l’objet de différentes présentations. Le modèle de coopérative développé par l’économie solidaire pourrait bien constituer, pour les militants sociaux du logiciel libre, un modèle d’affaire permettant de lier le développement du logiciel libre à des enjeux sociaux plus larges, comme la consommation responsable, la démocratie locale ou l’inclusion digitale.