Laisser ses empreintes

samedi 1er juin 2002, par Eza PAVENTI

Changer la vie des gens grâce à des histoires, c’est possible. La comédienne sud-africaine Andrea croit que l’art peut apporter bien des solutions à des gens qui ont peu de ressources.

« L’arrêt Coke, c’est ici », me lance le chauffeur du taxi communautaire en freinant brusquement. Je descends de la camionnette en cherchant du regard une pancarte indiquant un arrêt d’autobus ou de taxi. Rien. Seulement que des bidonvilles à perte de vue. Une pancarte publicitaire nous incitant à boire du Coke a été placardée sur une cabane de bois près de moi. Suis-je réellement au bon endroit ? Tout à coup, j’aperçois au loin une femme bien bâtie, d’environ six pieds, me faire des signes de la main. C’est Andrea. Quelques enfants l’arrêtent au passage pour la saluer. Ici, tout le monde connaît personnellement l’actrice, la conteuse et la metteure en scène.

Porte toujours ouverte

Si les enfants du township l’aiment autant, ce n’est pas nécessairement grâce à ses apparitions de plus en plus fréquentes à la télévision sud-africaine ou à ses rôles divers dans des pièces de théâtre. C’est surtout qu’ici, à Kayelitsha, en banlieue de Cape Town, la porte de la chambre d’Andrea leur est toujours ouverte. Il y a environ trois ans, alors qu’elle terminait ses études en théâtre, la carrière de la jeune comédienne a connu un véritable envol. Elle a commencé à accumuler une somme d’argent assez importante pour avoir l’opportunité de partir vivre en ville et quitter le township. Elle a plutôt décidé d’y rester pour de bon et d’investir dans sa communauté. « Ça me sert à quoi d’utiliser mon argent pour m’acheter une cinquième paire de chaussure dont je n’ai pas besoin ? Je préfère amener quelques enfants d’ici voir un film en ville le dimanche », résume Andrea.

La comédienne vit dans une chambre à peine assez grande pour contenir un grand matelas avec une quantité de coussins et d’animaux en peluche et un petit bureau. Quelques photos de ses derniers tournages ont été placardées sur les murs au côté d’icônes religieuses et d’étoiles fluorescentes. Pas étonnant que les enfants viennent souvent s’y réfugier.

La chambre d’Andrea est devenue un antre de réconfort à la suite d’un événement terrible. Il y a deux ans, son voisin s’est fait tirer à bout portant par un ami devant sa famille. « Alors que tous étaient en état de choc, moi j’étais surtout préoccupée par les enfants. Je les ai amenés jusqu’à ma chambre où ils se sont réfugiés sous les couvertures. En utilisant mon ours en peluche, je les ai aidé à exorciser l’événement. » Depuis, ses deux voisins viennent la visiter régulièrement chaque fin de semaine. Andrea leur donne des ateliers de théâtre, de contes et de danse dans une petite cours adjacente à sa chambre.

Au fil du temps, d’autres enfants se sont joints au groupe de départ. « La danse et le théâtre sont des moyens d’expression extraordinaires. Je me suis vite aperçue que les enfants pouvaient gagner une grande confiance en eux en les pratiquant. La semaine dernière, par exemple, j’ai expliqué à une petite fille que ce n’est pas grave si elle ne connaît pas bien l’anglais. Je lui ai dit : "Si tu ne sais pas comment l’exprimer avec des mots, alors, danse. Ça tu peux le faire !" »

Sujets tabous

« Ici, peu d’enfants ont la chance d’être en contact avec les arts. C’est malheureux parce qu’il y aurait sûrement moins de violence et de criminalité s’ils avaient cette opportunité. Parce que j’ai l’opportunité de pratiquer le métier de conteuse et celui de comédienne, je considère que j’ai une responsabilité sociale envers les jeunes. » En plus des nombreux tournages auxquels elle participe et des ateliers qu’elle donne gratuitement, Andrea s’occupe avec quatre autres amies d’une troupe de théâtre engagée. À tour de rôle, ces femmes écrivent, mettent en scène et jouent des pièces qui abordent des sujets tabous comme l’inceste ou la violence. « Je trouve que c’est plus facile de traiter de choses délicates à travers des métaphores ou des situations imaginaires », avance l’artiste.

Lorsque je lui demande ce qu’elle ferait si demain matin elle disposait de tout l’argent qu’elle désire, elle me répond tout de go qu’elle investirait cette somme dans la construction d’un centre communautaire au cœur du township. « Je trouve ça important que les gens puissent s’identifier à un lieu. Ça leur permet de développer un sentiment d’appartenance à leur milieu. Il y aurait des ordinateurs, des salles pour faire du sport et bien sûr, on y donnerait des ateliers en art. Il me semble que les habitants d’un township devraient avoir accès à ces ressources. » Et ses projets personnels ? Andrea répond avec un sourire. « Quand j’étais jeune, mon plus grand rêve, c’était de voir mes empreintes sur un trottoir à Hollywood. Aujourd’hui, je me rends compte que l’important, c’est de laisser mes empreintes dans le cœur des gens. »


Reportage réalisé en Afrique du Sud dans le cadre d’un stage organisé par Alternatives.

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