La « webocracy », bientôt une réalité ?

jeudi 21 mars 2013, par Thomas Scorticati

Internet est en plein essor. On ne dénombre plus les radios web, les journaux indépendants et les réseaux sociaux présents en ligne, autant de signes de vitalité de la liberté d’expression sur le réseau mondial. Néanmoins, la défense des États est aussi de plus en plus présente sur la Toile de par le nombre de cyberattaques ces dernières années. Qui plus est, leur surveillance s’intensifie sur le web afin de limiter le droit des citoyens et l’expression de leurs idées.

La cyberguerre annoncée

Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de la France, publié en 2008, a décrit les attaques visant les systèmes d’information et de communication comme « l’une des menaces nouvelles les plus importantes ». Un an plus tard, l’État français s’est doté d’une Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques, l’ANSSI. Le 28 février dernier, le Courrier International a rapporté, suite à l’intervention au Mali, que deux sites du ministère de la défense de la France ont été attaqués.

Bien que le Canada ne place pas les cyberattaques comme une menace à la nation, son dernier livre blanc en la matière présente les précautions à prendre afin de protéger les sites gouvernementaux et les entreprises canadiennes.

D’ailleurs, selon Michael Shrage, chercheur au Massachussetts Institute of Technology, une nouvelle entente, se fera entre les gouvernements occidentaux et les firmes multinationales afin de protéger celles-ci contre des cyberattaques. Les entreprises de la Silicon Valley pourtant considérées comme progressistes, pourraient être enclins à exiger une réglementation plus stricte de la part des gouvernements afin de protéger leurs intérêts.

Augmentation des attaques virtuelles entre États

Selon le chercheur Charles-Philippe David de l’UQAM, les cyberattaques entre États sont de plus en plus courantes . Dans son livre, David recense les cyberattaques entre États. En 2007 et 2008, la Russie aurait attaqué les sites gouvernementaux estonien et géorgien. Deux ans plus tard, l’Iran découvre un ver informatique, ou autrement dit un Cheval de Troie, dans une de ses centrales nucléaires. L’intrus, dénommé Stuxnet, aurait été mis au point par les États-Unis et Israël, si on en croit les adresses IP. Le gouvernement iranien a investi plus d’un milliard de dollars, selon Keshab, un journal local, afin de pouvoir émettre une réponse offensive aux attaques répétées des gouvernements occidentaux. En février 2013, le New York Times accuse la Chine d’être la source de plusieurs attaques grâce sa fameuse unité spécialisée, l’Unité 61398. La Chine récuse les accusations et affirme, à l’inverse, d’être la proie des cyberattaques provenant des États-Unis.

Les gouvernements prennent donc conscience de l’ampleur d’Internet et de la nécessité de ne pas perdre leur souveraineté sur ce terrain. Quand bien même cela se ferait au détriment des libertés citoyennes sur la Toile.

Le boom de la cybersurveillance

« Comme ils l’ont fait avec les radios libres, les États auront à terme le contrôle d’internet », estime Julien Saada, directeur adjoint de l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul Dandurand. Cela prendra plus de temps, d’efforts et de financements puisque comparativement à la radio, Internet dispose d’une infinité d’émetteurs pour une infinité de récepteurs. D’ailleurs les États organisent des forums au sein de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) afin de s’entendre sur une définition de la gouvernance mondiale du Net. À l’heure actuelle, ils n’arrivent pas à trouver une entente.

Les entreprises privées occidentales, dites démocratiques, s’en mêlent et vendent aux pays dits « autoritaires » des logiciels de surveillance. Il s’agit de spyware. Gamma Group, Amesys, Hacking Team, Trovicor et Blue Coat sont considérées comme étant des ennemies d’Internet par Reporter Sans Frontières. Ces sociétés, basées au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis, ont vendu leurs logiciels à des pays jugés hostiles à la liberté sur le réseau mondial, tels que le Bahreïn, la Chine, l’Iran ou la Syrie.

Même « Nokia (japonais) vend par exemple des spyware en Iran » dénonce Hanieh Ziaei, membre externe de la Chaire Raoul Dandurand et spécialiste de l’Iran. Elle explique que l’Iran a acheté des droits aux opérateurs téléphoniques afin de pouvoir lire les SMS, les photos et les vidéos échangés via les téléphones mobiles. L’argument du gouvernement iranien est de pouvoir contrôler le trafic d’organes humains, ou encore les voyages luxueux contraires à la foi religieuse.

« Cette tendance ne concerne pas que les États autoritaires », souligne Julien Saada. Le Canada a acquis des logiciels de ce type pour pouvoir faire obstacle à la pédophilie, au terrorisme et aux jeux d’argent illégaux sur Internet. « Toutefois, il faut veiller à ce que l’usage du logiciel reste dans les limites de la lutte contre la criminalité » avertit le chercheur. Au-delà des logiciels de surveillance, certains États, comme l’Iran, développent une armée virtuelle afin d’investir les réseaux sociaux. « Ces soldats du Web sont très habiles en communication, explique Hanieh Ziaei. Ils sont présents sur les forums afin de clore les débats, par exemple. Des faux comptes Facebook ont aussi été créés par le gouvernement afin de surveiller les journalistes iranien à l’extérieur du pays ». Des manières subtiles pour faire taire les opposants.

La liberté d’expression a toutefois encore de beaux jours sur Internet, car la surveillance du Web demeure coûteuse. Néanmoins, les États investissent de plus en plus. Le gouvernement américain, selon un article de Wired, a pour ambition de dépenser jusqu’à 10,5 milliards de dollars pour sa sécurité informatique d’ici 2015.


Cet article a pu être écrit grâce aux témoignages de Julien Saada, directeur adjoint de l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, et de Hanieh Ziaei. Membre externe à l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

Crédit Photo : The US Army

Pour en savoir plus le thème :
Internet, un nouvel espace pour les citoyens
Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale
Courrier international
Cyber security Report (Conseil des technologies de l’information et des communications)
Businesses Are Now Combatants in a Cyberwar with China and Iran
Chinese Army Unit Is Seen as Tied to Hacking Against U.S.
UN launches new attempt to control the Internet
Workshop on Internet Governance
Reporters sans frontières dénonce 10 ennemis d’Internet
Wired Opinion : Cyberwar Is the New Yellowcake

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