En 1967, la Palestine a vécu un tremblement de terre politique. La Cisjordanie et la bande de Gaza, les derniers bastions palestiniens, sont occupées par l’armée israélienne. Les Palestiniens comprennent qu’ils ne peuvent compter sur les résolutions des Nations unies - jamais respectées. Ils ressuscitent, sous l’égide d’Arafat, l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Celle-ci fait brusquement irruption, d’abord en Jordanie, où une sorte d’État parallèle se construit dans les camps de réfugiés palestiniens. Mais en septembre 1970, le roi de Jordanie, appuyé par Israël et les États-Unis, défonce l’OLP. L’événement demeurera dans les mémoires sous le vocable de Septembre noir. Arafat s’échappe de justesse, alors que plusieurs milliers de Palestiniens sont tués par l’armée jordanienne. Il réussit à rapatrier son mouvement vers le Liban.
Survivre au Liban
Malgré la catastrophe en Jordanie, Arafat devient une sorte de chef d’État et se fait reconnaître lors d’une visite ultra médiatisée aux Nations unies. Mais la dynamique palestinienne finira par créer des remous au Liban. Peu à peu, les réfugiés palestiniens se trouvent pris au piège d’une série de confrontations intercommunautaires. Le tout éclate en 1976 avec une guerre civile qui coupe le pays en deux, permettant à Israël d’intervenir. À l’été 1982, c’est l’invasion. Plus de 20 000 Libanais et Palestiniens sont tués. Arafat lui-même échappe de peu à la mort lorsque Ariel Sharon, qui commande l’invasion, organise des attentats meurtriers le ciblant spécifiquement.
Un peu plus tard, Sharon encercle les camps de réfugiés de Sabra et Chatila et plusieurs milliers de civils sont assassinés. Un « consensus » se forge entre Israël, les États-Unis et même la Syrie, afin d’en finir une fois pour toutes avec le pouvoir parallèle que représente l’OLP. À nouveau, le leader palestinien est sur la sellette. Il finit par être évacué vers la Tunisie grâce à la protection de la France.
De l’Intifada aux accords d’Oslo
En 1987, la révolte des pierres éclate en Cisjordanie et à Gaza. C’est l’Intifada, un soulèvement organisé localement, ce qui effraie Arafat. En 1990, l’Irak envahit le Koweït et le chef palestinien se range derrière le président irakien, Saddam Hussein. Il commet alors, une très lourde bavure politique. Peu après, l’Irak est bouté dehors du Koweït et l’OLP se retrouve isolée. Mais encore une fois, tel un magicien, le président palestinien tire son épingle du jeu.
Des négociations secrètes, entamées avec le gouvernement israélien, aboutissent à l’accord de paix d’Oslo. Auréolé de son prix Nobel de la paix, Arafat revient triomphalement en Palestine occupée. Une Autorité nationale palestinienne est mise en place, selon des conditions qui demeurent ambiguës. D’une part, les Palestiniens n’ont pas vraiment le contrôle des territoires, qui demeurent occupés. D’autre part, l’occupation israélienne, par la multiplication des colonies de peuplement, s’accentue.
D’impasse en impasse, une nouvelle crise germe. Des groupes armés (principalement le Hamas, qui se propose comme une alternative à l’OLP) passent à l’attaque. Les attentats-suicide créent la consternation dans l’opinion israélienne qui se durcit. Après l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin en 1995 par un militant de l’extrême-droite israélienne, la situation dégénère. En 2000, Ariel Sharon fait un spectaculaire comeback politique. La répression s’accentue, la Cisjordanie et Gaza sont segmentées en microterritoires, coupés par les blindés israéliens.
Arafat appuie alors le déclenchement d’une nouvelle Intifada. Cependant, contrairement au soulèvement de 1987, celle-ci est menée principalement par des groupes armés. Dans un rapport de forces totalement inégal, les villes palestiniennes sont prises d’assaut, comme Jénine, Naplouse et Gaza. L’administration palestinienne est anéantie, et à la suite du 11 septembre 2001, l’administration Bush donne tous les feux verts à Ariel Sharon. Le président palestinien redevient une « bête à abattre », Ariel Sharon menace de le tuer ou de l’expulser, tout en le confinant dans son quartier général de la Mouqataa, à moitié démoli, situé à Ramallah.
La page est tournée
Pour la majorité des Palestiniens, le départ du président est une tragédie. Il a incarné tout un pan de l’histoire palestinienne. Il a redynamisé le mouvement national dans des circonstances éprouvantes. Il a eu le génie de transformer des défaites en victoires. Plusieurs fois « tué », il est resté indestructible, une sorte de phare dans la nuit de l’occupation. Mais d’autre part, Arafat a mené le mouvement palestinien dans plusieurs impasses. Vis-à-vis de cela, des Palestiniens et des Palestiniennes en lutte contre un système de pouvoir autocratique et paternaliste - incarné par Arafat - demandent une réforme démocratique de la gouvernance palestinienne, plus de transparence et plus d’inclusion. Ce qui n’a rien à voir avec les prescriptions de Bush.
Washington verse des larmes de crocodile et affirme, sans gêne, que la disparition du président palestinien permettra la « relance du processus de paix ». Le mensonge, s’il n’était pas aussi gros que celui des « armes de destruction massive de Saddam », ferait rire, si Bush lui-même n’avait pas contribué à détruire l’infrastructure palestinienne en laissant les mains libres à Ariel Sharon.
Mais il se pourrait que l’histoire bifurque de nouveau. Un nouveau leadership palestinien, de toute manière, est inévitable. Car personne ne pourra réellement remplacer Arafat. Des négociations intrapalestiniennes sont en cours pour trouver le nouveau consensus qui permettra aux Palestiniens de bloquer l’occupation, qu’Ariel Sharon veut redéployer en se « désengageant » de Gaza et en consolidant sa mainmise sur les territoires. La solidarité internationale, qui appuie les revendications légitimes pour l’autodétermination palestinienne et la coexistence pacifique avec l’État d’Israël, pourrait également être réanimée. Maintes fois isolée et marginalisée, la résistance opiniâtre des Palestiniens pourrait encore une fois déjouer l’histoire.