
J’ai quitté l’Afghanistan pour l’Espagne le 5 mars, à un moment où la situation politique ne semblait que s’envenimer. L’attaque contre les membres d’une de nos organisations partenaires afghanes, qui a fait cinq morts à la fin février, et l’agression contre un collègue et ami quelques jours avant mon départ, réaffirmaient le climat d’incertitude et d’insécurité qui règne actuellement dans l’ensemble du pays.
Depuis déjà plusieurs jours, je rêvais aux vacances, à l’Andalousie et au flamenco. Je quittais tout de même avec une pincée de nostalgie ce ciel de Kaboul où bourdonnent les hélicoptères de guerre.
Depuis les deux dernières années, l’Afghanistan était devenu en quelque sorte mon deuxième chez-moi, comme un pays d’adoption. J’ai com-mencé mon travail dans la région deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001. Puis, j’ai franchi avec les Afghans les premiers chapitres de l’après-guerre, qui, comme partout, sont généralement traversés par des vents d’espoir et de changement.
J’ai quitté Kaboul alors que l’on anticipait le retour du printemps. Et je croyais qu’avec ce nouveau départ, j’allais aussi laisser derrière moi, du moins pour un moment, les histoires de guerre, de terrorisme et d’al-Qaïda. J’ai pris mon vol Paris-Séville le 8 mars. La suite, vous connaissez. À l’ère de la globalisation de l’information, les images, aussi atroces qu’elles puissent être, voyagent sans aucune inhibition.
Madrid, 11 mars 2004.
Quatre trains, 14 bombes, 6 000 voyageurs. Quelque 200 victimes et plusieurs centaines de blessés. D’abord, le choc. Et puis la douleur et la colère qui, le 14 mars, conduisent les Espagnols aux urnes et donnent la victoire à José Luis Rodriguez Zapatero, du Parti socialiste ouvrier espagnol. Un virage inespéré.
Cette fois-ci, on n’est pas prêt à pardonner les mensonges de José Maria Aznar, ni la manipulation et la pression exercées sur les médias du pays à des fins électorales. Pour les Espagnols, les attentats de Madrid sont une conséquence des politiques du gouvernement au pouvoir et de l’alignement du président sur le Pentagone dans le dossier irakien. Le 20 mars, des centaines de milliers d’Espagnols ont pris les rues pour confirmer leur opposition à la guerre et leur désir de voir leur nouveau président tenir promesse sur le retrait des troupes espagnoles de l’Irak.
Le triomphe socialiste en Espagne a sans aucun doute changé la donne politique au sein de l’Union européenne et mis en évidence le schisme européen sur la question irakienne.
Néanmoins, plusieurs craignent que le nouveau gouvernement ne se laisse emporter par la vague de l’antiterrorisme et qu’il se serve de ce nouveau contexte de l’après-11 mars comme prétexte pour renforcer le rôle de gendarme du sud-ouest européen que s’est donné l’Espagne contemporaine. Ici, dans cette Andalousie au riche passé islamique, où le grand poète musulman du XXe siècle, Mohammad Iqbal, est venu se recueillir, pluralisme et ouverture sont menacés.