Daniel Oligny possède une ferme horticole en Montérégie. L’homme qui représente la troisième génération d’Oligny à vendre des légumes frais se situe parmi les plus jeunes agriculteurs du Québec, malgré ses 47 ans. « Je suis relativement jeune ! », ironise-t-il.
Pourtant, plus de 1000 étudiants s’inscrivent dans des programmes agricoles dans la province chaque année, mais environ 600 entrepreneurs seulement se lancent dans l’agriculture au Québec annuellement.
Selon l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), le manque de ressources financières explique en grande partie le peu de relève. « Il n’y a pas beaucoup de domaines qui demandent autant d’investissements, dit le premier vice-président, Pierre Lemieux. Le problème est que les nouveaux venus n’ont aucune garantie à offrir aux institutions financières qui couvre de si gros montants. »
La valeur incroyablement élevée des biens nécessaires pour partir en affaire est un obstacle difficile à surmonter. La valeur moyenne des actifs d’une ferme se situe autour de 1,4 million de dollars. Pour chaque dollar de revenu, un agriculteur doit en investir cinq pour l’équipement, les bâtiments, le terrain et les très coûteux quotas qu’il faut obtenir pour produire lait, volaille, dindon, œufs de consommation et œufs d’incubation.
Les quotas sont des droits de produire, qui ont été accordés gratuitement au début des années 1970 aux producteurs québécois pour éviter une surabondance et gérer l’offre. Ils valent aujourd’hui leur pesant d’or sur le marché agricole, au grand dam des nouveaux, qui doivent payer jusqu’à 27 000 $ pour exploiter une seule vache. À l’Union paysanne, regroupement de protestataires face au régime agricole actuel, on croit que ces quotas constituent un obstacle aux nouveaux arrivants. « Notre agriculture crève et quelques riches qui possèdent presque tous les quotas vendent les places au soleil », croit le porte-parole Benoit Girouard. Du côté de l’UPA, Pierre Lemieux défend pourtant ces places au soleil. « Les quotas sont la seule garantie que les agriculteurs ont à offrir aux institutions financières. C’est le meilleur des actifs. »
Soutenir les petits nouveaux
Pour aider la relève, un loto quota en fait gagner à une poignée d’heureux dans l’industrie des œufs de consommation, et des prêts de quotas de lait existent. Le gouvernement offre également plusieurs autres mesures de soutien. La Financière agricole du Québec propose des subventions à l’établissement s’élevant jusqu’à 40 000 $ aux nouveaux agriculteurs. L’an dernier, 60 % des nouveaux propriétaires en ont bénéficié.
Selon Pierre Lemieux, ces programmes de soutien « sont essentiels, mais insuffisants. L’UPA demande depuis plusieurs années un nouveau fonds qui permettrait à la Financière agricole du Québec de fournir des prêts sans intérêt à la relève », rappelle-t-il.
Guillaume Brazeau, fils d’agriculteur, aura droit à 40 000 $ au moment du transfert de la ferme. « C’est juste un petit coup de pouce. Si je n’avais pas grandi sur une ferme, en posséder une ne serait même pas envisageable. » Son père lui vend l’entreprise laitière de Beauharnois pour environ la moitié de sa valeur à l’encan, en plus de lui prêter un fond de départ.
Selon Benoit Girouard, les programmes gouvernementaux mis en place pour soutenir les jeunes de la relève ont du bon, mais ne représente souvent qu’un « saupoudrage. Et couplé à un secteur fermé, ça ne sert à rien », dit-il.
Selon l’Union paysanne, l’UPA, l’unique syndicat agricole au Québec, favorise une standardisation des produits qui peut repousser les jeunes qui souhaitent user de créativité. « Le seul domaine où les jeunes ne sont pas en minorité, c’est dans l’agriculture biologique. On y retrouverait la moitié de ceux qui ne proviennent pas de famille agricole. Il y a moins d’intermédiaires, les productions y sont moins grosses. On peut y créer une nouveauté et vendre directement à la ferme », estime Benoit Girouard.
Rompre la tradition
Les contraintes du métier repoussent aussi beaucoup de jeunes. Benoit Girouard souligne que « travailler 90 heures par semaine pour se retrouver avec peu dans les poches n’est plus très populaire. »
Et près du quart des propriétaires de fermes qui souhaitent passer le flambeau ne trouvent pas preneur dans la famille. Ce sera probablement le cas de la ferme de Daniel Oligny, car son fils, Patrice, n’assurera pas la tradition : « Le travail sur la ferme n’a jamais été une passion pour moi. Ce sont de gros sacrifices. » Selon Patrice, la relève se fait plus rare, puisque les enfants d’agriculteurs ont maintenant plus de liberté quant à leur avenir.
Démanteler une ferme est souvent plus avantageux que de la vendre à sa progéniture. Selon Pierre Lemieux, les agriculteurs prêts à prendre leur retraite sont encore endettés et préfèrent donc vendre pour un maximum de profit afin d’assurer leurs vieux jours.