Pourquoi un livre sur les « glorieuses » années 60 ? « Parce que je les ai vécues de façon assez intense, répond l’auteur, de passage à Montréal dans le cadre du Salon du livre. J’avais envie depuis plusieurs années d’écrire sur cette période, et je commençais à avoir la distance suffisante. Comme mon meilleur ami, Olivier Rolin. Tous deux, chacun de notre côté, on a commencé, puis arrêté, puis repris. Sans se le dire. Il a terminé avant moi. »
Étourdissements est un peu plus romantique, moins cynique ou désabusé que Tigre en papier, le roman d’Olivier Rolin, récipiendaire du prix France Culture (voir Alternatives, décembre 2002). Un peu plus joyeux. Un roman d’amour « qui se termine bien, comme dans les films », souligne Jean-Pierre Le Dantec, qui, aujourd’hui, enseigne à l’École d’architecture de Paris La Villette.
Même constat que pour son compère Rolin : les années 60 sont une époque révolue, loin derrière, et rien ne sera plus comme avant. « J’espère que les jeunes d’aujourd’hui puissent vivre la même chose. Mais je me demande parfois si l’état du monde le permet. L’époque est moins exaltante, le monde est moins ouvert. »
Les années 60
Arrivé à Paris au début des années 60 pour étudier, le jeune Le Dantec se met à fréquenter les milieux intellectuel, culturel et militant, comme ses personnages de la Davidsbund : « Des gens plus vieux que moi, comme André Breton par exemple. J’avais 20 ans, c’était très excitant. » Il devient ensuite un des leaders de Mai 68, dans la même organisation maoïste qu’Olivier Rolin. Alors que ce dernier est un peu le « leader militaire », Jean-Pierre Le Dantec s’occupe du journal qui s’intitule La cause du peuple. Arrêté, il fera neuf mois de prison, et c’est nul autre que Jean-Paul Sartre qui le remplacera. « Lui, on savait qu’ils n’oseraient pas l’arrêter. »
« On était devenu un groupe très hégémonique dans les facs, les grands intellectuels s’étaient rapprochés de nous. Puis on s’est rendu compte qu’on allait droit dans un mur et avant de faire des bêtises, on a dissout l’organisation en 1972 ou 1973. Ça n’a pas été facile, certains voulaient continuer. Les années 70 ont plutôt été une gueule de bois. Plusieurs ont pris leur distance. »
Dans le roman, la gueule de bois, c’est au Québec qu’elle se vit. Ç’aurait pu être n’importe où, mais ailleurs qu’en France. Il devait y avoir dépaysement, exotisme. Si le romancier a d’abord pensé au Sénégal, il a vite opté pour le Québec, parce qu’il avait le matériau sous la main, des photos prises lors d’un séjour dans la belle province.
« J’avais été invité pour l’Année de la France au Québec. Et en tant qu’architecte paysagiste, je devais visiter les Jardins de Métis. De là, j’ai loué une voiture et j’ai passé une semaine de plus à me balader en Gaspésie. » Il existe vraiment un hôtel, à Sainte-Flavie, qui propose à la fois Homards et Danseuses sur sa devanture. À preuve, Le Dantec l’a immortalisé sur pellicule.
Et c’est dans ce décor que Line, la seule fille de la bande, viendra retrouver David, le mentor de leur ancien groupe révolutionnaire. Fini le temps de la jeunesse, de la révolution et de la gauche prolétarienne. Fini le temps des étourdissements. C’est un peu « l’hiver de force ». Puis, une fin comme dans un film, où toute la bande se rassemble autour des cendres du leader disparu, et les amours de jeunesse se retrouvent et se renouent sans doute.
Aujourd’hui, le FSE
Nostalgie, regrets ? « J’estime que d’une certaine façon, ma génération a fait sa part. Et j’estime aussi que c’est à la nouvelle génération de continuer », répond l’auteur qui croit qu’il y a quelque rapprochement à faire avec la jeunesse altermondialiste réunie à Paris du 12 au 16 novembre pour le Forum social européen (FSE). « Même insatisfaction de l’état du monde, et même goût des autres. Mais dans les années 60, on pensait possible un renversement complet du monde. Il est évident que les jeunes [d’aujourd’hui] ne peuvent avoir pareille vision révolutionnaire. »
Si pour Le Dantec, dans son ensemble, le mouvement altermondialiste, c’est plutôt bien, il préfère néanmoins garder ses distances : « Il faut des contre-pouvoirs, et c’est aujourd’hui l’un des plus importants, il est une nécessité. Mais je ne m’engagerai jamais personnellement, je n’arrive plus à être suffisamment naïf. »
Le romancier a raccroché ses patins de militant, mais demeure sympathique à la cause. Et, en définitive, tout en reprochant aux jeunes altermondialistes, comme aux moins jeunes d’ailleurs, une vision parfois un peu trop manichéenne du monde, il aura facilité la tenue de certains ateliers du FSE au sein de son école. Des ateliers organisés par une association affiliée à celle-ci, Architecture et développement, mise sur pied par un collègue et ancien camarade de militance, qui lui, y croit toujours.
France-Isabelle Langlois