Tenter d’expliquer la tournure des dernières élections fédérales et (surtout) la victoire écrasante du NPD au Québec est, comme disait Benoît Pelletier dans la Tribune au lendemain des élections, « tenter d’expliquer l’inexplicable ». C’est que les comportements électoraux des Québécoises et Québécois ont surpris même les plus fervents analystes. Chose certaine, le nouveau gouvernement formé apportera des changements importants dans l’univers politique québécois. Et ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose, toutes allégeances confondues…
En effet, le 2 juin dernier, soit un mois jour pour jour après les résultats des votes, lors du Discours du Trône, une particularité tout aussi importante que les nouvelles couleurs de notre gouvernement méritaient d’être soulignées. Outre le bleu et l’orange, c’est l’importante présence de femmes élues qui est venue modifier le visage du pouvoir au Canada.
Résultats surprenants vu la composition du nouveau gouvernement ? Pas vraiment, puisque le NPD, dès le début de la campagne, présentait un nombre impressionnant de femmes comme candidates. Au Québec, le NPD a présenté 37 candidates, un nombre paritaire puisqu’il y a 75 circonscriptions au Québec. Ses opposants n’ont pas fait pareil effort. À titre comparatif, le Bloc Québécois a présenté 25 femmes dès le début de sa campagne, ce qui a couvert 33 % seulement de ses effectifs. Les libéraux ont fait descendre à 20 ce nombre et les conservateurs n’ont offert que 15 candidates à l’électorat québécois, ce qui représente un peu moins de 20 % du nombre total de candidats présentés par le parti. Ces chiffres placent ces derniers loin derrière la masse critique de 30 % considérée par les chercheurs comme le chiffre minimal pour assurer une représentation substantielle des femmes dans la législature canadienne. Certes, il y a de quoi se réjouir de l’avancée du NPD en matière d’égalité entre les sexes, mais il est primordial de se questionner sur les usages stratégiques de ces femmes candidates en politique.
Il est un fait généralement admis que le nombre de sièges récoltés par le NPD le 2 mai dernier, au Québec, dépassait largement les attentes du parti. Même les plus optimistes ne pouvaient entrevoir une aussi écrasante victoire de la part de ces derniers, dans une province déchirée par l’enjeu souverainiste. Il est aussi justifié de croire que les candidates et candidats n’étaient pas tous « prédestinés » à remporter dans leurs circonscriptions. En politique, c’est ce que l’on appelle des « poteaux » ou dérivés de l’expression anglaise, des « agneaux » (lamb). En fait, les candidates et candidats « poteaux » font campagne dans des circonscriptions qui ont un électorat fidèle à un des partis contre qui ils s’opposent. De manière générale, les agneaux sacrifiés pour la visibilité des partis sont, du moins historiquement, des femmes. Il y a lieu de croire que ceci n’est pas étranger au nombre paritaire de femmes présentées par le NPD au début de la campagne de 2011. En effet, dans les provinces où le NPD a eu historiquement du succès, le parti a présenté un pourcentage beaucoup plus faible de candidates. En Ontario, à la dernière élection par exemple, seulement 33 % des candidats présentés par le Parti étaient des femmes. Ainsi, il semble que plus les chances sont élevées pour le NPD de gagner une circonscription, plus le nombre de candidates diminue et inversement, plus la compétition est forte au sein d’une circonscription, plus les candidates sont sacrifiées pour permettre, à défaut d’une victoire, la visibilité du Parti.
Il faut toutefois admettre qu’au Québec, avec la montée remarquable du Nouveau Parti démocratique à la dernière élection, les résultats vont dans le sens d’une meilleure représentation des femmes au Canada. Ainsi, bien que les intentions de départ en ce qui a trait à la parité soient questionnables, il est évident que la dernière élection aura eu un impact plus que positif dans la représentation homme-femme des néo-démocrates. 45,8 % des élues au sein du NPD dans la province de Québec sont désormais des femmes, ce qui représente un total de 28 sièges.
Si l’analyse du comportement électoral des Québécoises et Québécois au lendemain des élections du 2 mai dernier reste une tâche ardue, il en demeure que le vote pour le NPD est généralement perçu comme un vote pour le changement. L’une des facettes de ce changement au Québec est une meilleure représentation de la population québécoise, du moins en ce qui a trait à la division des sexes. Ce vote progressiste au sein de la province témoigne une fois de plus du clivage qui persiste entre les deux solitudes. Car, si le NPD se démarque des autres partis par sa grande proportion de femmes élues, le nouveau parlement n’a que 24,7 % de députées. Un chiffre peu impressionnant pour un pays qui fait la promotion de l’égalité à travers le monde.
Ceci peut être expliqué en grande partie par la victoire du Parti conservateur qui compte parmi son équipe 83 % d’hommes, ce qui ne laisse au final que très peu de place aux femmes. Par ailleurs, les candidates des autres partis ont également eu de la difficulté à se faire élire. À titre d’exemple, les libéraux présentaient pour l’ensemble du Canada 30 % de candidates, mais seulement la moitié d’entre elles ont été élues. Pour le Bloc Québécois, c’est une députée seulement qui représente l’électorat féminin du Bloc, sur un total de quatre députés.
Ainsi, la vague orange au Québec a permis à de nombreuses candidates d’obtenir un siège au Parlement, ce qui remet partiellement en questions la thèse des agneaux. Pourtant, il est évident que la victoire a été plus difficile pour les femmes au sein des autres partis.
Il faudra attendre encore 4 ans pour voir si le NPD présentera autant de femmes aux prochaines élections. Maintenant que le NPD détient le statut de parti officiel de l’opposition et qu’il n’y a ainsi plus d’agneaux à sacrifier, qu’adviendra-t-il des femmes actives en politique ? Seront-elles encore sacrifiées, non pas cette fois pour la visibilité du parti, mais pour sa victoire éminente ?