« Le travail gratuit, ça suffit ! » : depuis l’automne 2016, les étudiant·es québécois·es demandent au gouvernement de mettre en place la pleine rémunération des stages dans tous les domaines d’études et de reconnaître leurs études comme un travail qui mérite un juste salaire. Ils·elles souhaitent aussi que le statut des stagiaires fasse partie de la Loi sur les normes du travail. Pour mener ce combat, les étudiant·es se sont organisé·es en Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE), des groupes de travail autonomes vis-à-vis des associations et syndicats étudiants créés dans différents campus. S’ils militent pour la même chose, chaque CUTE est autonome et décide des actions à mener. Les étudiant·es ont organisé diverses manifestations au cours de ces trois dernières années [1] à travers le Québec pour se faire entendre. Dernière mobilisation en date : une grève des stages, moyen de pression assez rare dans l’histoire des manifestations étudiantes au Québec. Débutée le 18 mars dernier, elle a duré entre quelques jours et plusieurs semaines selon les mandats de grève des différentes associations étudiantes des cégeps et des universités. Plus de 40 000 étudiant·es y ont participé.
Mathilde Laforge s’implique dans le Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis l’automne 2017. Depuis, l’étudiante en travail social [2] n’a pas baissé les armes, comme des centaines d’autres de ses camarades à travers le Québec. Selon la jeune femme, la contestation a permis de démontrer le continuum de l’exploitation du travail des femmes et de mettre en lumière les maux de certaines professions : ce sont les professions de l’enseignement et du care, où exercent principalement des femmes, qui sont mal rémunérées et peu reconnues. Le Journal des Alternatives l’a rencontrée pour faire le point sur les derniers mois écoulés et la suite entourant le mouvement pour la rémunération des stages.
JdA : Pourquoi avoir organisé la grève des stages ?
M.L. : Notre revendication principale est la rémunération de tous les stages, peu importe le domaine d’étude. Nous avons constaté que dans certains domaines, ceux majoritairement et traditionnellement féminins, les étudiant·es ne sont pas rémunéré·es pour leur stage. Dans d’autres champs de compétence, en revanche, les stages sont rémunérés. C’est par exemple le cas en génie mécanique, en génie informatique ou encore en construction. Dans le fond, les militant·es ont voulu mettre cela en avant et dénoncer ce deux poids deux mesures.
JdA : Quel bilan dressez-vous de cette action ?
M.L. : Ce que nous demandons, c’est la rémunération horaire des stages. Selon nous, cela représenterait une vraie reconnaissance du travail effectué, au contraire d’une rémunération forfaitaire, comme le sont les compensations et les bourses présentement octroyées à certain·es étudiant·es. En enseignement [3], par exemple, les étudiant·es reçoivent le même montant, peu importe la durée de leur stage. Pourquoi ceux qui ont un stage de 15 semaines auraient le même montant que ceux et celles qui ont un stage plus court ? En plus de recevoir un montant forfaitaire, les étudiant·es en enseignement restent non protégé·es puisqu’il ne sont pas intégré·es à la Loi sur les normes du travail. Nous souhaitons que les stages soient régis par la Loi sur les normes du travail. C’est ce que nous souhaitons depuis le début : être reconnu·es pour être protégé·es et avoir les mêmes protections que les travailleurs et travailleuses. Le 18 mars dernier, comme moyen de pression, nous avons opté pour la grève des stages. À la suite de cela, il y a eu une annonce du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge [4], mais qui ne satisfait pas les demandes du mouvement. Nous souhaitons vraiment une rémunération de tous les stages. Nous ne savons pas pour le moment quelle forme va prendre cette bourse, mais nous savons déjà que cela ne va pas être une rémunération à l’heure.
JdA : Sur quels soutiens avez-vous pu compter pendant le mouvement de grève ?
M.L. : La campagne pour la rémunération des stages et le discours que nous avons mis de l’avant nous a permis de créer plusieurs alliances avec des groupes communautaires, des syndicats et des associations de travailleurs et travailleuses. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la grève des stages, aussi largement adoptée dans les mandats de grève, a été une première dans le mouvement étudiant. Dès le début de la campagne, nous avons su développer des tactiques pour rendre cette grève effective. Car, contrairement à la grève des cours, la grève des stages nécessite énormément de volontarisme de la part des stagiaires qui sont isolé·es sur leur milieu de stage. C’est pourquoi il était nécessaire de créer des alliances avec les milieux de travail qui emploient les stagiaires, ainsi que les syndicats et associations de travailleurs et travailleuses. Les appuis reçus ont permis de décharger les stagiaires du fardeau de justifier individuellement le mandat de grève adopté collectivement. Dans mon cas, mon milieu m’appuyait depuis mon entrée en stage, ce qui m’a permis d’avoir des allié·es lorsque est venu le moment de défendre le respect du mandat de grève face à ma coordonnatrice de stage et face à la direction de travail social. La répression des stagiaires a été forte cet hiver. Certain·es stagiaires ont été menacé·es d’échec ou de reprise des heures de stage. Face à cette répression, certains syndicats et groupes communautaires ont partagé publiquement leur appui aux stagiaires en dénonçant les mesures de répression entreprises par les facultés et directions de formation. Grâce au mouvement, nous sommes maintenant organisé·es. Les stagiaires sont imprégné·es d’un argumentaire pour lutter pour de meilleures conditions de travail, contre le travail gratuit et pour une rémunération à leur propre valeur. Cela ne me surprendrait pas que les stagiaires infirmier/ères s’organisent l’année prochaine avec les infirmier/ères qui se mobilisent contre le temps supplémentaire obligatoire (TSO) [5]. Nous sommes en train de créer une génération de travailleuses pour les services publics. Cette campagne-là a dépassé les murs de l’école ! Comme 2012, nous avons ancré nos revendications étudiantes dans un discours plus large.
JdA : En quoi le mouvement s’est inscrit dans un débat public ?
M.L. : La campagne s’inscrit dans une analyse féministe plus large contre le travail gratuit et pour la reconnaissance du travail reproductif. Lorsque nous parlons de travail reproductif, nous pensons à tout le travail nécessaire pour assurer la création et le renouvellement de la force de travail, dite productive, soit de prendre soin et d’éduquer les enfants, s’occuper des aînées, des personnes à charge, combler les besoins affectifs et sexuels de la personne salariée, faire le ménage, etc. Ce travail, auparavant accompli gratuitement par les femmes, au sein du foyer, est encore aujourd’hui majoritairement effectué par les femmes, de façon gratuite, ou mal payée. Nous avons voulu démontrer le continuum de l’exploitation du travail des femmes, de la maison à l’école et de l’école à nos milieux de travail. Nous avons souhaité rendre visibles les liens qui unissent notre lutte à celles d’autres travailleuses, comme les travailleuses migrantes, les travailleuses de la santé et des services sociaux, les enseignantes, les proches aidantes et les travailleuses du sexe. À travers des panels, des textes de réflexions, nous avons démontré notre solidarité avec les travailleuses qui luttent pour de meilleures conditions de travail et pour une valorisation du travail qu’elles effectuent.
JdA : Selon toi, est-ce que ce mouvement a initié une prise de conscience dans la société québécoise ?
M.L. : Oui, je pense que ça a d’abord mis la question des stages et l’exploitation du travail des stagiaires sur la map. Ensuite, le discours que nous portons est celui de plusieurs travailleuses qui s’organisent contre l’exploitation de leur travail. Ce n’est pas pour rien que les professions où l’on retrouve des stagiaires non rémunéré·es sont celles où les statistiques sont les plus criantes, en terme de souffrance psychologique et d’épuisement. Et ce n’est pas par hasard non plus que ces professions ont pour commun d’appartenir au vaste domaine des professions de care, dites féminines. Dès le début de la formation, on habitue au dévouement et au travail gratuit, en nous obligeant à accomplir des centaines d’heures de stage non rémunérées, dans les mêmes conditions de travail qui ont été dénoncées dernièrement dans les médias par les infirmières, les travailleuses sociales, les sages-femmes et les enseignantes.
JdA : Quelles actions sont prévues dans les prochains mois ?
M.L. : Les CUTE ne sont pas regroupés dans une association nationale. Cela signifie que, pour l’avenir, chaque CUTE va opter pour les moyens d’actions qu’il souhaite, s’il le souhaite. Présentement, nous attendons l’annonce du gouvernement, qui devrait avoir bientôt lieu. Toute action reste possible. Un magazine « bilan » est en préparation pour une parution à l’automne. Cela va nous permettre de faire le point, et d’avancer des critiques. En tout cas, nous sommes certain·es d’avoir des gains suite à cette campagne, ce qui est certainement positif pour le mouvement de grève offensif que nous avons porté les trois dernières années.