Chronique CEDETIM - France

La prison et la grâce

dimanche 1er décembre 2002, par Florent SCHAEFFER, Julien LUSSON

José Bové vient d’écoper d’une peine de 14 mois de prison fermes. Le leader syndical de la Confédération paysanne et leader des mouvements altermondialisation est condamné pour avoir investi en juin 1999 une serre du Centre international de recherche en agriculture et en développement (CIRAD), et détruit des plants de riz transgéniques. La Cour de cassation confirme ainsi la sentence de la Cour d’appel : six mois fermes, auxquels s’ajoutent huit mois de prison avec sursis, commués en peine de prison ferme, pour avoir mélangé des semences transgéniques dans un entrepôt de la firme Novartis en janvier 1998.

Par ces deux actions non violentes, le leader syndical entendait, avec d’autres (dont René Riesel, autre paysan condamné à une peine similaire), alerter l’opinion publique sur les dangers que les OGM font peser sur l’environnement, la santé et l’indépendance des paysans. Il est vrai qu’en France, les différents gouvernements (de gauche comme de droite) n’ont jamais favorisé ce débat... La Confédération paysanne, aux côtés des associations écologistes a longtemps réclamé une concertation large et des prises de position claires et argumentées des pouvoirs publics, avant d’entreprendre ses actions directes symboliques. Ceux-ci n’ont pas répondu, ont feint d’ignorer les mises en garde du syndicat, quand ils n’ont pas simplement argumenté de l’innocuité des OGM - sans expliquer pourquoi les sociétés d’assurances refusent de couvrir les risques des plantations...
La portée symbolique du jugement en est d’autant plus forte : par cette condamnation, la Cour ne fait que confirmer le mépris dans lequel elle tient le débat public dans cette affaire où des enjeux financiers sont énormes. Elle fait fi des nombreuses inquiétudes exprimées envers la malbouffe (vache folle, dioxyne, OGM...). Elle traduit enfin l’incapacité des « décideurs » à répondre aux légitimes interrogations sur la place et l’usage de la science dans notre société aujourd’hui.
José Bové est déjà allé en prison. Il a purgé, cet été, une peine de 40 jours pour le démontage symbolique (et non la destruction) du McDonald’s de Millau en 1999. Pourquoi cette action non violente ? Parce que l’Union européenne interdit d’importer du bœuf américain aux hormones sur son territoire, depuis que l’OMC l’a condamnée à la suite d’une plainte des États-Unis. Ceux-ci ont été autorisés à taxer des produits d’importation européens. Et ils ont choisi... le roquefort bio produit par les paysans de la Confédération. Ceci explique cela.
Cette affaire l’avait propulsé, en 1999, à la une de l’actualité, et donné au mouvement altermondialisation une grande visibilité médiatique. Mais cette condamnation à de la prison ferme trois ans après les faits a révélé l’essoufflement d’une stratégie médiatique. En effet, l’affaire n’a pas fait grand bruit. En plein été, période traditionnellement peu propice aux mobilisations sociales, les Français ont peu manifesté de réaction. Après le 11 septembre et les élections présidentielles françaises, ce nouveau coup a touché le mouvement dans son ensemble. Le débat sur la légitimité des actions entreprises a cédé la place à une sorte d’exaspération de l’opinion à l’égard de la « star » (de plus, la participation quelques semaines auparavant de José Bové à la campagne civile de protection du peuple palestinien n’avait pas été du goût de tout le monde, y compris de la gauche française...).
L’accession au pouvoir de la droite a accéléré une tendance, déjà à l’œuvre sous le précédent gouvernement, à criminaliser le mouvement citoyen. Ainsi, plusieurs militants et syndicalistes sont inquiétés par la justice à la suite d’actions de contestation. Cette nouvelle condamnation prend donc un sens particulier. D’une part, sa dureté sans précédent (aucun responsable syndical de niveau national n’a été incarcéré depuis le régime fasciste de Vichy) montre la dégradation des libertés syndicales en France. La portée symbolique de l’action n’est en effet pas reconnue dans ce jugement extraordinairement répressif. D’autre part, il oblige à une nouvelle stratégie du mouvement, qui ne peut plus ignorer la dure réalité de la prison pour celui ou celle qui la subit ni continuer de forcer l’attention sur une seule personne.
L’urgence est donc aujourd’hui à une forte mobilisation sur une base inédite : la Confédération a en effet décidé de demander au président de la République française, Jacques Chirac, de gracier José Bové2. Mais elle ne renie pas la légitimité de sa lutte et ne demande donc pas pardon ! Cette campagne est soutenue par de nombreuses organisations et des milliers de citoyens en Europe et ailleurs, indignés par ce qu’ils décrivent comme un scandale, une justice à deux vitesses qui condamne les militants et relaxe les policiers assassins et les hommes d’affaires corrompus...
Ironie de l’histoire : la balle est désormais dans le camp d’un président qui, en cas de défaite électorale, risquerait fort d’avoir affaire à la justice pour de multiples scandales et affaires de corruption.

Julien Lusson et Florent Schaeffer, Cedetim

1. Syndicat de paysans qui défend une agriculture multifonctionnelle et respectueuse de l’environnement, il s’oppose à la logique du productivisme acharné si bien défendue par le syndicat agricole majoritaire en France, la FNSEA.

2. Voir le site : [http://confederationpaysanne.ouvaton.org/France/accueil_france.htm->http://confederationpaysanne.ouvaton.org/France/accueil_france.htm

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