La plus jeune constitution du monde

mardi 11 mai 2010, par Mylène Geoffroy

Bolivie, 25 janvier 2009. 60 % des électeurs boliviens approuvent, par voie référendaire, leur nouvelle Constitution politique de l’État (NCPE).

Comparée à celles du Canada ou des États-Unis, cette constitution apparaît comme l’une des plus progressistes actuellement, malgré les critiques venant de l’opposition, de certaines industries présentes en Bolivie et d’autres milieux réputés conservateurs dans le monde. En plus de reconnaître formellement l’existence de la pluralité des cultures boliviennes, elle valorise les modes culturels d’organisation vus comme des alternatives viables au développement du pays.

Le premier président amérindien a été élu en 2005, après des décennies de discrimination raciale à l’endroit de la majorité autochtone, de pouvoir autoritaire et de résistances vaines. C’est sous l’égide du Mouvement vers le socialisme – Instrument politique pour la souveraineté des peuples (MAS-IPSP) qu’Évo Morales a pris le pouvoir. Dès l’année suivante, il convoque une Assemblée constituante dans le but de « refonder » le pays en y intégrant les peuples indigènes. Sous la présidence d’une femme autochtone, l’élaboration du projet constitutionnel sera extrêmement tumultueuse et marquée d’épisodes de violence. Ce projet a divisé le pays entre l’Est, mieux nanti et largement composé des descendants espagnols, et l’Ouest, indigène et défavorisé autour duquel gravite le MAS-IPSP.

Droits sociaux et territoriaux

Des droits sociaux et économiques sont désormais reconnus dans la Loi constituante. Plusieurs articles protègent ainsi le droit à l’eau et à une alimentation saine, à un environnement équilibré, au travail, à la pratique de la médecine traditionnelle et ancestrale et à l’éducation supérieure.

La NCPE exprime le caractère d’un État plurinational : il se fonde sur la pluralité politique, économique, juridique, culturelle et linguistique [1], à l’instar des constitutions colombienne et espagnole. Elle prévoit ainsi la création d’entités territoriales autonomes qui se formeront sous la volonté de leurs habitants en harmonisation avec les principes de l’État bolivien. Ce type d’organisation territoriale tente de concilier les demandes de différentes minorités nationales et permet de conserver l’unification de l’État sans renoncer aux différentes formes d’organisation sociale, d’identités et de cultures qui caractérisent la Bolivie.

La population peut voter pour quatre types d’autonomie : départementale, régionale, municipale et indigène originaire paysanne. Une fois établie, chacune des entités créées disposera d’un organe exécutif et législatif, d’un statut particulier, et de différents champs de compétences.

L’autonomie indigène originaire paysanne apparaît comme la plus aboutie. Elle prévoit des compétences dans la « définition et la gestion des formes de développement économique, social, politique et culturel en conformité avec son identité », dans la gestion des ressources naturelles renouvelables et des aires protégées sur son territoire et dans la règlementation et l’exécution du « contrôle socioenvironnemental des activités d’hydrocarbure et minières qui se développent dans sa juridiction ». Selon le quotidien El Potosi, seules 11 communautés – sur plus de 300 – ont fait valoir leur volonté d’accéder à l’autonomie indigène originaire lors des élections générales du 6 décembre 2009.

L’hybridation des économies

Sans rejeter le système capitaliste comme le ferait un État purement communiste, les constituants ont tenu à reconnaître l’apport des petites économies locales et informelles, souvent plus stables et moins sensibles aux fluctuations mondiales. La NCPE évoque ainsi un modèle « pluriel et orienté vers l’amélioration des conditions de vie de tous les boliviens ».

La pluralité du modèle « s’articule autour des différentes formes d’organisation économique, suivant des principes de complémentarité, réciprocité, solidarité, redistribution, durabilité (…) ». Les formes d’organisation reconnues sont l’économie communautaire, publique, privée et coopérative.

Comme toutes lois constitutionnelles, celle de la Bolivie énonce les principes qui orientent l’action de l’État. Reste maintenant aux gouvernements d’adopter la panoplie de lois et de règlements, évalués à une centaine, qui la rendront opératoire. Avec le deuxième mandat qu’Evo Morales vient d’obtenir et avec une majorité dans les deux chambres du Parlement, le président bolivien et le MAS bénéficient encore de quelques années pour honorer la plus jeune constitution du monde.


[1Outre l’espagnol, il y a 36 langues officielles en Bolivie. Estado de Bolivia(2009) Nueva Constitucíon Política del Estado. La Paz : U.P.S. Editorial s.r.l., p. 5.

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