La plus grande menace pour la paix mondiale est... le Canada

mercredi 16 décembre 2009, par George MONBIOT

Quelles qualités vous viennent à l’esprit lorsque vous pensez au Canada ? Un gardien de paix mondiale, une nation accueillante, un contrepoids libéral à la piété des plus durs de son voisin du sud, décent, civilisé, égalitaire, bien-gouverné ? Pensez encore. Le gouvernement de ce pays réagit maintenant avec toute la sophistication d’un dîner de cons. Le Canada est devenu à ce point destructeur, que j’ai cédé à l’insistance de mes amis canadiens à m’impliquer dans ce combat. J’ai donc décidé de briser ma propre interdiction de prendre l’avion et j’ai volé vers Toronto.

Alors me voici, admirant ce spectacle étonnant d’une nation magnifique et cultivée qui se transforme en un pays producteur de pétrole corrompu. Le Canada dévale l’échelle du développement, se retirant d’une économique complexe et diversifié vers une dépendance à une seule ressource primaire, qui du même coup se retrouve être la ressource la plus sale connue de l’Homme. Le prix de cette transition est l’abrutissement du pays, ainsi qu’une campagne gouvernementale contre le multilatéralisme aussi sauvage que toutes celles menées par George Bush.

Jusqu’à ce jour, j’ai cru que la nation qui avait le plus saboté la possibilité d’un nouvel accord sur les changements climatiques était les États-Unis. J’avais tort. Le vrai coupable est le Canada. Sauf si nous pouvons l’arrêter, les dommages faits par le Canada en décembre 2009 éclipseront un siècle de bon travail.
En 2006, le nouveau gouvernement canadien a annoncé qu’il abandonnait ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre tels que proposés par le Protocole de Kyoto. Aucun autre pays ayant ratifié le traité n’a osé faire cela. Le Canada se devait de réduire ses émissions de 6 % entre 1990 et 2012. Ils ont plutôt augmenté de 26 % (1).

Il est maintenant évident que le Canada refusera d’être pénalisé pour l’abandon de ses obligations légales. Le Protocole de Kyoto peut seulement être exécuté au travers de la bonne volonté : les pays doivent consentir à accepter les futures obligations punitives s’ils ratent leurs objectifs actuels. Les réductions de gaz à effet de serre prévues par le Canada sont les moins importantes parmi toutes celles des pays occidentaux. Oubliez ces mesures spéciales, ils n’accepteront pas un partage équitable. Le gouvernement canadien teste présentement le processus international de la destruction et découvre qu’il fonctionne bien trop facilement. En démontrant que les sanctions climatiques ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites, le gouvernement menace toute chance de voir un traité aboutir à Copenhague.

Après avoir fait un doigt d’honneur au Protocole de Kyoto, le Canada s’est organisé pour éviter la ratification d’un autre traité international semblable. À la fin de l’année 2007, le gouvernement canadien a bloqué la résolution du Commonwealth qui visait à rendre les objectifs environnementaux contraignants pour les nations industrialisées (3). En décembre 2008, après les pourparlers sur le climat en Pologne, le Canada a remporté le Prix du Fossil of the Year, présenté par les groupes environnementaux au pays qui s’est démarqué en faisant entrave aux débats (4). Le même mois, l’Index de performance sur les changements climatiques, qui évalue les efforts des 60 pays les plus riches, était publié. L’Arabie Saoudite fait mauvaise figure, étant 60e au classement. Le Canada, lui, est à la 59e place.

En juin de cette année, les médias ont obtenu des documents de réunions d’information canadiennes qui démontraient que le gouvernement planifiait diviser les Européens. Durant la rencontre à Bangkok au mois d’octobre, la majorité des représentants des pays en voie de développement ont quitté la salle lorsque le délégué canadien a pris la parole, tellement ils étaient révoltés par son intimidation (7). La semaine dernière, les dirigeants gouvernementaux du Commonwealth ont lutté pendant plusieurs heures (et finalement gagné) contre l’opposition du Canada. Une campagne de concertation a également débuté afin d’expulser le Canada du Commonwealth (8).

La semaine prochaine à Copenhague, ce pays fera tout en son pouvoir pour éteindre les discussions. Le reste de la planète se doit de tout faire en son pouvoir pour l’arrêter. Mais telle est la nature fragile d’un accord sur les changements climatiques, un pays riche – particulièrement lorsqu’il est membre du G8, du Commonwealth et du groupe des pays industrialisés signataires de Kyoto — peut faire dérailler le traité. Le Canada est présentement une menace au bien-être de la planète.

Pourquoi ? La réponse est simple. Le Canada développe présentement la deuxième plus grande réserve de pétrole au niveau mondial. Aie-je bien dit pétrole ? C’est plus précisément un mélange encore plus polluant, constitué de bitume, de sable, de métaux lourds ainsi que de produits organiques chimiques et toxiques. Les sables bitumineux, dont la majorité se retrouve en Alberta, sont présentement extraits grâce aux plus grandes opérations de mines à ciel ouvert sur la planète. Une zone de la taille de l’Angleterre à l’intérieur de laquelle des forêts vierges et des marais seront détruits, à moins que les Canadiens réussissent à arrêter cette folie. Déjà, la scène ressemble à un film apocalyptique : les mineurs créent un enfer noir d’une échelle inimaginable.

Afin de parvenir à extraire le pétrole de ce fouillis, il faut le chauffer et le laver. Pour avoir un baril de pétrole, trois barils d’eau sont utilisés dans ce processus (9). L’eau contaminée est ensuite conservée dans de vastes bassins de décantation si contaminés que les compagnies de sable bitumineux engagent des gens pour enlever les oiseaux morts qui gisent en surface (10). La plupart des bassins sont perméables. Ils laissent donc fuir du poison organique, de l’arsenic ainsi que du mercure dans les rivières avoisinantes. Les communautés des Premières nations vivant en aval de ces rivières ont développé de nombreux cancers exotiques et des maladies auto-immunes (11).

Le raffinement des sables bitumineux demande deux à trois fois l’énergie requise au raffinement du pétrole brut. Ces compagnies brûlent autant de gaz naturel qu’il est nécessaire pour chauffer six millions de résidences (12). L’extraction du sable bitumineux en Alberta est la plus grande source d’émission industrielle de carbone mondiale (13). D’ici 2020, si la croissance actuelle se poursuit, cette industrie produira autant de gaz à effet de serre que l’Irlande ou le Danemark (14). Présentement, en partie grâce aux sables bitumineux, les Canadiens détiennent presque le taux le plus élevé d’émissions par habitant, et le pillage de l’Alberta ne fait que débuter.

Le Canada n’a pas agi seul. L’acteur principal dans l’industrie du sable bitumineux est Shell (15), une compagnie ayant dépensé des millions pour persuader les populations qu’elle respecte l’environnement. L’autre principal écoblanchisseur, BP, avait aux tout débuts décidé de rester en dehors du bitume. Pourtant, ils investissent maintenant dans des usines afin de le traiter (16). La banque britannique RBS, détenue à 70 % par vous et moi (la part du gouvernement augmentera bientôt à 84 %), a prêté ou souscrit 8 milliards de livres pour l’exploitation des sables bitumineux (17).

Le but des attaques du Canada sur les discussions internationales est de protéger cette industrie. La nation canadienne n’est pourtant pas pauvre. Sa survie économique ne dépend pas de cette ressource. Mais les barons du sable bitumineux de l’Alberta ont été en mesure de tenir le pays entier en otage. Ils ont capturé la politique du Canada et transforment ce beau pays en un endroit cruel et brutal.

Le Canada est une nation cultivée et pacifique, qui de temps en temps, permet à une bande de Neandertal déchaînée de tout bafouer sur leur passage. Les compagnies forestières autorisées à tronçonner la forêt vierge de Clayoquot, les compagnies de pêche autorisées à décimer les grands bancs ; dans ces deux cas, ces deux programmes d’enrichissement rapides ont appauvri le Canada et sa réputation. Mais dans le cas des sables bitumineux, la situation est bien pire, car ses effets affecteront le monde entier. Les manigances du gouvernement pendant les négociations climatiques détruisent l’image nationale comme l’a fait l’industrie de la baleine au Japon.

Je ne prétendrais pas que ce pays est le seul obstacle à un accord à Copenhague. Mais il est le plus important. C’est étrange de l’écrire. La menace immédiate à l’effort global pour maintenir un monde en paix et stable ne provient toutefois pas de l’Arabie Saoudite, de l’Iran ou de la Chine. Elle vient du Canada. Comment cela pourrait-il être vrai ?


Voir en ligne : Le blogue de Georges Monbiot


1. http://www.ec.gc.ca/pdb/ghg/inventory_report/2007/som-sum_eng.cfm
2.Le gouvernement a plaidé pour rejoindre les objectifs (peu convaincants) américains (qui, dans le cas du Canada, correspond à une réduction de seulement 3 % des niveaux d’émissions de 1990), mais, contrairement aux États-Unis, le Canada n’a proposé aucune réduction après cette date.
3. Eg http://www.canada.com/story_print.html?id=a1a6748c-ef0c-4acf-acad-1cef2bdae5b7&sponsor=
4. Andrew Nikiforuk, September 2009. How The Tar Sands Are Fueling The Global Climate Crisis. Greenpeace Canada. ***
5. http://www.germanwatch.org/klima/ccpi09res.pdf
6. Lee Berthiaume, 17th June 2009. Government Planned to Split EU On Climate Change Talks. Embassy Magazine. Cited by Andrew Nikiforuk, ibid.
7. http://www.ctv.ca/servlet/ArticleNews/print/CTVNews/20091012/kyoto_091012/20091012/?hub=Canada&subhub=PrintStory
8. http://www.guardian.co.uk/environment/2009/nov/26/canada-criticised-over-climate-change
9. WWF, 2008. Scraping the Bottom of the Barrel ?, Page 27.
http://assets.panda.org/downloads/unconventional_oil_final_lowres.pdf
10. http://peopleandplanet.org/tarsands/localimpacts
11. Environmental Defence, February 2008. Canada’s Toxic Tar Sands : the most destructive project on earth.
http://www.environmentaldefence.ca/reports/pdf/TarSands_TheReport.pdf
12. Andrew Nikiforuk, ibid.
13. http://peopleandplanet.org/tarsands/localimpacts
14. Andrew Nikiforuk, ibid.
15. idem
16. idem
17. Ed Crooks, 16th November 2009. Canadian Protest Over RBS Oil Sands Role. The Financial Times.

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