Culture

La plume noire

jeudi 30 novembre 2006, par David HOMEL

Chaque mois d’octobre le gouvernement français et le secteur privé s’associent pour présenter Lire en fête, un week-end littéraire à travers la France. Cette année encore, pour la onzième année consécutive, on a fêté le Salon du Livre de la Plume Noire. Le lieu choisi : le Musée Dapper, musée d’arts africains où, cette année, trônait une excellente exposition de statues gabonaises.

J’ai assisté à l’événement pour suivre des écrivains québécois, dont aucun n’est noir. Apparemment, la définition de « Noir » s’élargit, et c’est tant mieux. Il y a eu des lectures et des performances (le slam est à la mode en France) de « littérature urbaine francophone » avec Mélikah Abdelmoumen, Maxime-Olivier Moutier, Annouchka Gravel Galouchko et Eric Dupont (qui a gagné le deuxième Prix Senghor de la Création littéraire pour son roman Voleur de sucre).

La surprise était au rendez-vous, car j’ai pu croiser d’autres plumes qui, à ma connaissance, n’ont pas encore traversé l’Atlantique. Il y avait Nourrédine Saadi, d’origine algérienne, qui a parlé de « l’exotisme à rebours » d’un Maghrébin à Paris. Il se trouve attiré par « les débris qui ont fait souche, » c’est-à-dire le Marché aux Puces de Saint-Ouen, dans la banlieue nord, et les puciers qui y travaillent. Ça fait des années que Saint-Ouen existe, et certains diraient que le marché a perdu de son authenticité. Mais qu’est-ce qui est authentique à vrai dire ? Les puces changent, comme tout dans la ville, mais Saint-Ouen reste une zone à découvrir.

Florent Couao-Zotti du Bénin a piqué mon intérêt avec son roman du retour, Les fantômes du Brésil. Il parle du retour du Brésil des esclaves affranchis, jusque dans leur pays d’origine. La situation est intrigante : un ex-esclave revient pour demander des comptes à ceux qui ont vendu ses grands-parents. Curieusement, les ex-esclaves se croient supérieurs à ceux qui n’ont jamais quitté le pays, grâce à leur métissage et à leur contact avec les « maîtres ». L’histoire de l’esclavage au Bénin s’avère beaucoup plus compliquée qu’on ne le pense.

L’Ivorien Kouakou Gbahi Kouakou bouillonnait de colère, et on comprend pourquoi. Ce jeune homme est passé par la guerre civile en Côte-d’Ivoire. Il a appris à survivre et à détester le gouvernement en place, les rebelles et les puissances occidentales. Il a cité un proverbe de son pays : « On ne regarde pas dans les poches du grilleur d’arachides. » Autrement dit, lorsqu’on est au pouvoir, on se sert, et le peuple n’a le droit que d’applaudir. Son livre, judicieusement intitulé Le peuple n’aime pas le peuple, raconte en direct la guerre civile « dans un français pourri », comme Kouakou le dit. Pourri mais puissant ; on pourrait lire le livre chez Gallimard.

J’ai bien aimé le projet de retour de Mahi Binebine, un Marocain qui est rentré à Marrakech pour évoquer cette ville en paroles et en photos dans Le griot de Marrakech. J’ai appris de lui que le grand Elias Canetti y a séjourné et écrit sur la ville ; c’est à retenir, car l’Auto-Da-Fe de Canetti peut changer la vie de ses lecteurs. Dans son livre, Binebine évoque le conteur de la grande place de la ville, qui menace de laisser le héros de son histoire en prison si son public de passants et de badauds ne dépose pas suffisamment de dirhams dans sa petite assiette.

Une sacrée bonne stratégie qu’il a, le conteur ! Moi, romancier, je voudrais l’adopter... Mais comment ?

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