Le ministère des Finances et les économistes en général évaluent la dette en fonction du ratio dette/PIB parce qu’il indique l’ampleur de la dette par rapport à la capacité du pays à la payer. La dette canadienne est présentement à 40 % du PIB, le meilleur score des pays du G7. La plupart des économistes considèrent la dette sous contrôle : il n’y a pas d’argument économique fondé pour justifier un objectif de 25 %. Ce chiffre est tout à fait arbitraire.
Cependant, si votre but est de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour éviter d’augmenter les dépenses dans les programmes sociaux, alors la cible de 25 % est l’outil idéal. Vous n’avez qu’à convaincre les Canadiens que la diminution de la dette est toujours la plus importante des priorités nationales, à invoquer l’argument qu’un déficit mènera inéluctablement à une catastrophe et à établir le chiffre magique de 25 %. Bingo ! Nous n’aurons plus jamais à dépenser un dollar supplémentaire dans les programmes sociaux.
Cette stratégie est une variation d’une vieille habitude comptable de Martin : délibérément sous-évaluer les surplus pour qu’il n’ait pas à réinvestir dans les programmes sociaux qu’il a sabré au milieu des années 90. Martin a utilisé ce truc si souvent que c’en est devenu une farce, même à Bay Street. Il a utilisé toutes sortes de manigances pour y arriver : tripler la somme allouée au coussin budgétaire, surestimer les dépenses, sous-estimer les revenus…
Pourquoi est-ce important que l’estimation soit erronée ? Parce qu’à la fin de l’année, tous les surplus additionnels vont au service de la dette. L’argent devant être dépensé durant l’année fiscale, et parce que la somme des surplus demeure inconnue jusqu’au dernier mois, il devient presque impossible ensuite de les dépenser dans les programmes gouvernementaux.
Paul Martin est déterminé à protéger et à transmettre l’héritage qu’il considère comme le plus important de sa carrière : l’entière redéfinition du rôle du gouvernement fédéral. Son budget de 1995 est mieux connu pour ses coupes énormes en santé, en éducation et en aide sociale. Mais si on se fie au discours du budget Martin de 1995, c’est « la redéfinition du gouvernement qui est le plus grand accomplissement de ce budget. » Il s’enorgueillissait que « les dépenses dans les programmes gouvernementaux seraient plus basses en 1996-97 qu’elles ne l’ont jamais été depuis 1951. »
Avec cette médecine, en moins de deux ans, le déficit s’était évaporé et le gouvernement fédéral accumulait des surplus significatifs. Ces surplus étaient la vraie hantise de Paul Martin, car il savait que les valeurs canadiennes exigeaient un réinvestissement dans les programmes sociaux. Alors, en 2000, il accorda aux corporations et aux Canadiens les plus riches des baisses d’impôt de 100 milliards de dollars sur cinq ans. Mais l’argent continue néanmoins de croupir dans les coffres de l’État. Cette année, Ralph Goodale avait insisté sur le fait que les surplus s’élèveraient à 2 milliards de dollars pour finalement admettre qu’ils atteindraient plutôt 5 milliards, au moins. Peu importe, Martin a sa panacée : réduire la dette nationale à 25 % du PIB.