La loi de la jungle en Amazonie

mardi 23 juin 2009, par Marie-Josée Béliveau

Les peuples autochtones de l’Amazonie péruvienne viennent de remporter une grande victoire. Ils ont forcé le gouvernement péruvien à faire volte-face et à abroger sa controversée Loi de la jungle. Mais ils ont dû le payer de leur sang.

En août 2008, les différentes ethnies de l’Amazonie péruvienne, mobilisées par l’AIDESEP (Asociación interétnica de desarrollo de la Selva peruana), entamaient la Rébellion des peuples autochtones de l’Amazonie en réaction à l’imposition d’une série de décrets contenus dans la Loi de la jungle. Le président Alan Garcia affaiblissait ainsi sévèrement les droits territoriaux des peuples autochtones. Son but : permettre aux entreprises transnationales de pénétrer la forêt amazonienne comme jamais jusqu’à présent. Les compagnies minières et pétrolières allaient avoir le champ libre pour exploiter le sous-sol, les compagnies forestières le feu vert pour couper des arbres.

Et ces décrets s’inscrivaient dans une stratégie plus large. En effet, depuis la ratification en décembre 2007 du Traité de libre-échange entre le Pérou et les États-Unis, le président Alan Garcia fait de nombreux efforts afin de mettre en place un cadre législatif visant la suppression des barrières aux investissements étrangers.

Les autochtones résistent

Incapables de faire plier le gouvernement, les autochtones ont repris leur mobilisation le 9 avril dernier, après avoir déclaré une trêve à la suite de promesses finalement non tenues par le gouvernement. Ils ont organisé plusieurs marches de protestation, en bloquant des voies fluviales et routières et en coupant l’Amazonie du reste du pays.

L’avocate Lily de la Torre Lopez travaille au sein du groupe Racimos de Ungurahui, un regroupement de professionnels visant à aider les peuples autochtones à faire respecter leurs droits. Jointe à Lima, elle affirme que les décrets de la Loi de la jungle « portent atteinte aux droits des autochtones sur leurs terres traditionnelles et ont pour but de promouvoir la privatisation de ces terres, présentement sous contrôle communal et considérées abandonnées ou improductives, au profit de l’État et des entreprises, en particulier pétrolières, minières et forestières ». Elle voit dans les différentes stratégies avancées par l’État «  un moyen d’accéder aux richesses des terres autochtones, tout en contournant le droit à la consultation des communautés ainsi que les dispositions internationales ».

Les organisations autochtones du Pérou et de nombreuses ONG ont mené une large campagne contre ces décrets qui, selon eux, violent à la fois la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) dont le Pérou est signataire, la Constitution péruvienne ainsi que la Déclaration des droits des peuples autochtones de l’ONU.

Malgré ces pressions, le gouvernement est demeuré inflexible. Le président n’hésitait pas à qualifier de «  perro del hortelano » (chien du jardinier) les groupes qui s’opposaient au développement de l’Amazonie, les accusant ainsi d’empêcher la collectivité de jouir des ressources du pays sans eux-mêmes en profiter.

Le massacre

Tout a basculé le 5 juin au matin, lorsque les forces de l’ordre ont tué des manifestants dans un affrontement, à Bagua (nord du pays). Bilan : une cinquantaine de morts, une centaine de disparus et plus de 150 blessés parmi les autochtones et les policiers.

Avant cette tuerie, le gouvernement péruvien parvenait sans trop de mal à contourner les mobilisations autochtones et à faire accepter aux citoyens péruviens ses différentes mesures afin d’assouplir les lois et d’ouvrir le territoire amazonien aux entreprises.

Le lendemain du massacre, le président Garcia a accusé les autochtones d’avoir assassiné des policiers. Il a justifié l’opération militaire en avançant que le gouvernement ne pouvait se croiser les bras tandis qu’une poignée d’autochtones bloquaient l’accès aux ressources appartenant à tous les Péruviens.

Mais l’affrontement de Bagua et la réponse du gouvernement aux autochtones ont indigné une majorité de la population. Une mobilisation sans précédent dans l’histoire récente du Pérou s’organisa. Le 11 juin, Lima fut le théâtre d’une grande manifestation regroupant à la fois des mouvements de femmes, d’étudiants, d’artistes, d’intellectuels et de travailleurs au côté des peuples autochtones. Le même jour, diverses communautés d’Amazonie organisaient une grève de solidarité.

Les dénonciations du gouvernement péruvien et les appuis à la lutte autochtone sont aussi venus de l’étranger : le mouvement était suivi dans de nombreuses villes du monde où des manifestants se réunissaient devant les ambassades et les consulats du Pérou. James Anaya, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits des peuples autochtones s’est indigné de la réaction du gouvernement envers les peuples amazoniens et s’est rendu lui-même sur les lieux afin d’y réaliser une mission spéciale d’observation. La lauréate du Nobel pour la paix, la Guatémaltèque Rigoberta Menchu, et le président bolivien Evo Morales ont aussi présenté leurs doléances au gouvernement péruvien. Un nombre incalculable de pétitions et de lettres appuyant les revendications autochtones ont circulé sur Internet. Le Pérou n’avait pas fait l’objet de telles critiques depuis les années sombres du Sentier lumineux.

Finalement, les pressions venues de l’étranger et de son propre pays ont eu pour effet de bousculer le gouvernement péruvien qui a dû reculer et modifier complètement son discours en raison de la crise. Alors qu’au départ il rejetait la responsabilité du massacre sur les autochtones, voilà qu’il présentait ses excuses. Le premier ministre Yehude Simon, chargé jusqu’ici des pourparlers avec les autochtones, a annoncé l’annulation de la Loi de la jungle ainsi que sa démission « dès que la crise sera passée ».

Une nouvelle avancée pour le mouvement autochtone

Ces événements pourraient renforcer les autochtones de l’Amazonie péruvienne. Ils revendiquent la souveraineté sur les terres qu’ils occupent. Ils font valoir l’importance de la protection de la forêt amazonienne dont l’équilibre précaire est menacé par les projets d’extraction de ressources naturelles. Le président d’AIDESEP, Alberto Pizanga, qui a trouvé refuge au Nicaragua, soutient que les peuples d’Amazonie ne sont pas opposés au développement, mais que celui-ci doit respecter leur mode de vie et leur culture. Selon lui, la protection de l’environnement est centrale pour ces peuples vivant en étroite relation avec la nature. Il rappelle que l’Amazonie est dotée d’une biodiversité incomparable, immensément fragile.

La lutte en Amazonie péruvienne aura certainement des échos dans d’autres régions de l’Amazonie, au Brésil, en Équateur, en Colombie par exemple, où la dévastation de la forêt est parfois plus avancée. En effet, l’exploitation du sous-sol et le saccage de la forêt se font sans que les autorités ne se soucient des populations autochtones locales. En outre, des mobilisations autochtones ont lieu présentement dans plusieurs régions. Certains groupes autochtones tentent de faire valoir des projets de développement alternatifs et écologiques et revendiquent des territoires protégés tandis que d’autres intentent des procès contre les entreprises. Bref, les stratégies divergent, mais il est certain que les récentes avancées des peuples autochtones de l’Amazonie péruvienne redonneront de la vigueur aux mouvements autochtones du continent.


L’auteure est présidente du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL) et doctorante en science de l’environnement à l’UQAM.

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