Selon une enquête conduite par le gouvernement marocain et présentée le 30 janvier 2004 au ministère des Affaires sociales et de la Solidarité de Rabat, près de 800 000 enfants marocains ne fréquentent pas l’école. La plupart d’entre eux sont contraints de travailler, surtout dans le milieu agricole, envoyés par leurs propres familles.
Le gouvernement marocain, qui a souscrit en 1993 à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfance, s’est dit prêt à éradiquer le phénomène. Toutefois, l’exhortation des organisations internationales à protéger les plus jeunes et à éviter leur exploitation illégale n’est toujours pas respectée.
De fait, une nouvelle loi interdisant le travail des jeunes de moins de quinze ans pourrait être adoptée d’ici la fin de l’année.
La Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies révélait dans son rapport sur le Maroc, présenté en juillet 2003, que les châtiments corporels sont assez couramment pratiqués à l’école. Le comité demeure préoccupé par cette situation puisque le Ministère de l’Éducation avait adressé une note, en 2000, à tous les professionnels de l’enseignement pour leur demander de ne pas administrer de tels sévices et que rien n’a changé.
D’autre part, « l’existence de réseaux pédophiles organisés, contribuant à l’essor d’un tourisme sexuel ne peut pas non plus être niée, soulignait le journaliste Khalil Hachimi Idrissi dans le journal Maroc Hebdo Presse. Les enfants sont livrés à des pseudo touristes pervers, nationaux et internationaux. »
Selon le chargé de projet des droits de l’enfance à l’Espace associatif du Maroc, Khalid Belkoh, cette réalité est très alarmante d’autant plus que le gouvernement a pris la décision d’investir davantage pour le développement du secteur touristique d’ici 2010.
Le problème de pauvreté, l’exode rural combiné à une urbanisation anarchique, le fort endettement et la diminution des investissements du gouvernement dans le milieu social, sont plusieurs facteurs du déficit en matière des droits des enfants. « Les enfants représentent très souvent la seule source de revenus pour des familles qui ne cessent de croître dangereusement », expliquait le Dr. Najat M’Jit, de l’Association Bayti pour les enfants de la rue, dans le journal Al-Ahram.
« Dix millions de marocains vivent sous le seuil de la pauvreté déterminé par la Banque mondiale avec moins de 10 dirhams par jour (environ 1.5 dollars canadiens), souligne M. Belkoh. C’est un tiers de la population du Royaume. La plupart sont des femmes, souvent monoparentales, qui vivent en milieu rural ou en périphérie des grandes villes. On ne peut se développer comme société lorsqu’une grande majorité de la population sont des femmes et des enfants marginalisés. »
Le système juridique présente aussi quelques failles qui ont une influence négative sur la réalité des jeunes. « Les lois ne protègent pas les enfants et leurs droits, s’indigne M. Belkoh. D’après les enquêtes, les mères célibataires ont du mal à trouver un statut juridique et social pour leur enfant, elles sont donc obligées de les abandonner. »
Implication du gouvernement
L’État marocain développe divers projets pour les droits de l’enfance : le Programme de gestion intégrée des maladies infantiles, la généralisation de l’éducation, une stratégie de lutte contre le travail infantile, le Programme de lutte contre les sévices faites aux enfants. Différentes organisations ont aussi vues le jour sous sa supervision : l’Observatoire marocain des droits de l’enfance ainsi que la Fondation Mohammed VI.
« On remarque toutefois que ces plans d’action sont élaborés à la suite des demandes d’organismes internationaux et qu’ils servent plutôt à propager une image de bonne volonté du gouvernement, soutient M. Belkoh. Il manque de coordination entre les différents programmes et malgré qu’ils aient toutes les ressources financières, humaines et matérielles pour entreprendre des actions, on trouve peu de résultat concret. Il est donc difficile de dire qu’ils ont un réel impact sur la situation de l’enfance puisqu’il faut avoir une vision globale et réaliste pour l’améliorer. »
Le milieu associatif
Un nouveau projet respectant le droit des enfants à la participation lors de la prise de décision se développe à l’Espace associatif. En collaboration avec l’organisation international Save the children, les responsables dressent un portrait de la réalité de l’enfance marocaine. Les responsables souhaitent ainsi intégrer l’approche des droits de l’enfant dans les structures associatives et organiser des campagnes de plaidoyer pour défendre cette cause.
Les ateliers impliquent les enfants des milieux les plus marginalisés : les petites bonnes, les jeunes en conflit avec la loi, les filles en milieu rural, les enfants handicapés et les adolescents des quartiers périphériques de Casablanca. « C’est une nouvelle démarche au pays que d’impliquer les enfants durant la phase diagnostic d’un projet, souligne M. Belkoh. On utilise les jeux de rôles, le dessin et les travaux manuels comme formes d’expressions afin de cibler leurs besoins, trouver des solutions et préciser leur implication. »
Lors d’un atelier dans un centre de sauvegarde pour les enfants ayant un conflit avec la loi, un témoignage a particulièrement marqué le chargé de projet. « Un jeune a exprimé que lorsqu’un de ces pairs fait une gaffe, les coordonnateurs le punit en demandant à un autre enfant de le frapper, confit-il. Lorsque tu visites un centre qui a pour objectif d’aider les jeunes et que tu apprends qu’ils le font par une éducation basée sur la violence, c’est vraiment choquant. Cela reflète bien les tendances de l’État en matière des droits de l’enfant. »
M. Belkoh garde tout de même espoir que la situation s’améliorera puisqu’il remarque une ouverture politique importante qui est favorable à la démocratisation et aux droits de l’homme en général. « Je crois que la société marocaine a la volonté et l’énergie pour qu’il y ait du changement, conclut-il. Il faut lutter pour interdire toutes les formes de maltraitance des enfants qui prennent une ampleur inquiétante. L’alarme est sonnée. »