La guerre du pétrole

samedi 1er février 2003, par Pierre Beaudet

Derrière la montée des tensions en Irak et au Moyen-Orient en général se profile un conflit gigantesque qui porte en fait sur le pétrole et les ressources énergétiques. Depuis les événements du 11 septembre, les porte-parole de l’administration américaine ont relancé le discours sur la crise énergétique en le reliant à la « guerre contre le terrorisme ».

En mai 2001, le vice-président américain Dick Cheney rendait public un grand rapport sur la politique énergétique des États-Unis. « La nation est en danger, disait-il, car nous faisons face à la plus grande pénurie depuis l’embargo sur le pétrole imposé par les pays arabes dans les années 1970 ». Peu après, l’administration Bush lançait une campagne sans précédent, destinée à saisir l’opinion publique. « C’est la crise, affirmait Georges W. Bush, et il faut investir de grandes sommes dans le développement de nos ressources tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. » Quelques mois plus tard cependant éclatait le grand scandale de Enron, grand conglomérat américain très proche des Républicains (son PDG, Ken Lay, était lui-même un des auteurs du rapport Cheney). Pendant quelque temps, Bush mit la pédale douce sur le discours alarmiste, jusqu’à ce que surviennent les événements du 11 septembre. Depuis, les porte-parole de l’administration américaine ont relancé le discours sur la crise énergétique en le reliant à la « guerre contre le terrorisme ».

La « crise de l’énergie »

Les États-Unis sont vulnérables sur le plan énergétique. Avec 4,6 % de la population mondiale, ce pays bouffe plus de 25 % de la consommation d’énergie totale. Bien que les États-Unis soient un très gros producteur de pétrole (le troisième au monde) et de gaz, ils doivent importer chaque jour plus de 16 % de leurs approvisionnements en pétrole et 52 % en gaz. Selon le rapport Cheney, cette dépendance va s’accroître dans les prochaines années, où l’on prévoit une augmentation de 33 % de la consommation de pétrole (50 % pour le gaz et 45 % pour l’électricité). Cheney affirme qu’il faudrait d’ici 20 ans construire près de 1 200 usines de production électrique ! Certes, le vice-président ne semble pas trop intéressé à expliquer cette explosion de la demande. Le transport absorbe 66 % de l’offre en pétrole, contre 52 % en 1970. Au-delà de l’explosion de la demande globale, c’est en fait l’explosion du transport terrestre, totalement dépendant du mazout, qui explique la situation actuelle. Pendant ce temps, la production de véhicules très gourmands en pétrole s’accélère.

La dépendance externe

Pour le moment, les États-Unis importent 41 % du pétrole consommé dans le pays (19,5 millions de barils par jour), ce qui représente une augmentation de plus de 400 % depuis 1985. La production interne pendant ce temps stagne (40 % de moins par rapport à 1970). De plus, les réserves internes qui existent encore sont de plus en plus excentrées, dans le grand Nord ou loin des côtes dans un contexte qui rend l’exploitation très coûteuse. Les importations des États-Unis deviennent donc encore plus importantes, tant en provenance du Golfe persique que d’Amérique latine et du Canada. À elle seule, l’Arabie saoudite compte 15 % des importations américaines, suivie de très près par le Canada, le Venezuela et le Mexique. Certes, les États-Unis ne dépendent pas d’un seul pays, mais selon Cheney, il faut diversifier encore plus. Deux régions du monde sont particulièrement identifiées pour assurer les besoins américains, soit l’Asie centrale, où les réserves du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et de l’Azerbaïdjan sont très importantes, et l’Afrique. Dans ce dernier continent, quelques gros producteurs sont en train de devenir importants pour les États-Unis, notamment l’Angola et le Nigéria. Mais l’Afrique demeure largement « sous-exploitée » du point de vue des multinationales pétrolières et des États-Unis. On pourrait donc s’attendre à voir se multiplier les efforts de Washington pour s’implanter dans ces régions, notamment en Asie centrale dans la foulée de l’opération afghane.

L’enjeu irakien

Reste évidemment l’Irak. Pour le moment, c’est un « no man’s land » pour les intérêts américains. Si l’Irak réussit à redémarrer son industrie pétrolière dans les conditions actuelles, les gros gagnants seront la France et les États-Unis qui se sont investis sérieusement dans l’exploitation des ressources irakiennes. L’enjeu est gros car pour le moment, on soupçonne les réserves irakiennes d’être presqu’aussi considérables que celles de l’Arabie saoudite. Il serait sans doute abusif de prétendre que les États-Unis veulent faire la guerre contre l’Irak « uniquement » pour s’emparer du pétrole. Il serait à l’inverse naïf de croire que ce facteur n’a pas d’importance. Dans la nouvelle géopolitique espérée par Bush et Cheney, le verrouillage des régions riches en hydrocarbures est une carte maîtresse, tant pour assurer la sécurité énergétique des États-Unis que pour empêcher des concurrents trop ambitieux de s’imposer sur la scène économique mondiale.

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