La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en janvier 1995, a permis de franchir une nouvelle étape vers la libéralisation des marchés. Appuyées par des gouvernements élus démocratiquement, les entreprises voyaient ainsi s’éliminer les derniers obstacles pour s’arroger des pouvoirs absolus. Il n’en fallait pas plus pour que des transnationales, dont la structure organisationnelle s’apparente à celle des gouvernements, exercent toute leur influence pour faire infléchir les lois, infiltrer l’appareil démocratique et en ébranler douloureusement ses fondations. Tel est l’argument développé dans le dernier livre de Murray Dobbin, La grande fumisterie : Les transnationales à l’assaut de la démocratie, publié aux Éditions Écosociété.
Pour le Canada, qui a vu la majorité de sa charte constitutionnelle rédigée par la Compagnie de la baie d’Hudson, les fondements de l’État égalitaire s’effritent dangereusement. Tout au long de son ouvrage, l’auteur démontre comment la philosophie de l’entreprise s’est infiltrée dans la sphère politique. « Les gouvernements gouvernent mais les grandes sociétés privées font la loi », écrit-t-il. En calquant son mode de gestion sur les méga-entreprises, le Canada a abdiqué son rôle d’État égalitaire - assurer une répartition plus juste de la richesse, garantir un niveau de confort et de bien-être collectif acceptable - contre celui de Canada inc. Désormais, l’idéologie mercantile nous serait vendue comme une nécessité appelée « efficacité ».
L’Accord de libre-échange avec les États-Unis (ALENA), en 1988, allait briser un consensus social qui a pris 20 ans à se construire. Murray Dobbin ajoute : « Programmes sociaux, régimes de réglementation, aide au développement, droits de la personne, souci d’égalité sociale : rien n’échappe au couperet. Cette contre-révolution s’attaque à tout ce qui constituait l’essence - ou du moins le mythe fondateur - du Canada pendant presque trois générations. »
Véritable examen lucide des affaires canadiennes et mondiales, La grande fumisterie dénonce l’affaiblissement du pouvoir démocratique au profit d’une classe toute puissante. C’est une invitation à nous engager rapidement, pour que du simple consommateur, nous redevenions citoyens. Le nouvel ordre mondial n’est pas irréversible. Il faut réfléchir : « Un système qui entraîne la destruction des bases mêmes de notre existence n’est-il pas contre nature ? »