La difficile relation Chine-Tibet

jeudi 1er mai 2008, par J.F. Marc Des Jardins

Émeutes au Tibet. Manifestations contre les Jeux olympiques de Pékin par des Tibétains dans tous les continents. Accusations du gouvernement chinois contre le dalaï-lama. Survol d’une relation houleuse, mais pas toujours acrimonieuse.

Le Tibet a été séparé depuis 1959 en plusieurs provinces par les autorités chinoises. Les politiques de Pékin et des gouverneurs provinciaux déterminent la gestion des populations tibétaines, des ressources locales et du développement culturel, social et économique.

Ces territoires tibétains ont été acquis par la force dans les années 1950. Après avoir passé dix ans sous la terreur de la Révolution culturelle (1966-76), le Pays des neiges est lentement sorti de l’occupation militaire. Une période de reconstruction économique a suivi. En même temps, la liberté de religion a été permise au milieu des années 1980. Mais vers la fin de cette décennie, des émeutes, principalement menées par des moines et des nonnes de la secte du dalaï-lama, ont surpris les autorités chinoises qui ont réagi en stationnant des troupes en permanence. Lors des récentes manifestations au Tibet contre l’autorité répressive chinoise et les Jeux olympiques, les institutions monastiques bouddhistes étaient au cœur de l’action.

La carotte et le bâton

La Chine investit au Tibet non seulement pour des raisons économiques, notamment l’extraction de richesses naturelles, mais aussi pour des raisons politiques. Ainsi, le gouvernement chinois raffermit son autorité et sa légitimité sur ces territoires de manière concrète comme avec la construction du chemin de fer qui relie Pékin à Lhassa, capitale du Tibet.

Depuis les années 1990, les efforts de développement, qui incluent de nombreux partenariats avec des sociétés étrangères (plusieurs sont canadiennes), ont pourvu les Tibétains d’infrastructures (routes carrossables, barrages hydroélectriques, communications et autres) qui jusque-là n’avaient jamais existé.

Ces efforts n’ont pas été seulement entrepris par le gouvernement central et des sociétés étrangères, mais un grand nombre de particuliers chinois et tibétains y sont aussi engagés. Plusieurs entrepreneurs tibétains en ont grandement profité (contrairement aux dires de critiques de la question tibétaine), surtout dans les régions le long des anciennes frontières sino-tibétaines ou le long des artères menant aux territoires chinois.

Depuis la fin des années 1990, les Chinois sont amoureux du Tibet. Les radios et les télévisions d’État ne cessent de diffuser des séries télévisées, des spectacles de toutes sortes ainsi que des documentaires à l’eau de rose sur le Tibet. Des chanteurs tibétains sont devenus très populaires à travers le pays et l’ouverture du Tibet au tourisme a créé un essor économique et culturel sans précédent.

Un grand nombre de Chinois des classes riches et moyennes, en expansion, sont conquis par la mystique du Tibet. Ils y vont pour trouver des maîtres spirituels tibétains. Il n’est plus rare maintenant de voir des lamas tibétains dans les grandes villes de la Chine qui dispensent leurs enseignements spirituels à des disciples chinois ou qui font des affaires pour leurs monastères. Plusieurs temples ont été reconstruits grâce à des fonds suppléés par ces nouveaux disciples.

À la tête des préfectures majoritairement tibétaines, on ne retrouve pas des Chinois placés par Pékin mais, la plupart du temps, des Tibétains natifs de ces régions qui les administrent.

La répression demeure toutefois bien présente au Tibet. Pour maintenir sa mainmise, le gouvernement chinois n’hésite pas, comme partout ailleurs au pays, à utiliser la force et les séances d’endoctrinement idéologique. Les cas documentés de torture et d’abus dans les prisons chinoises sont nombreux et le Tibet ne fait pas exception. Ceux qui ont l’audace de contester l’autorité ou de sympathiser avec le mouvement indépendantiste tibétain sont emprisonnés.

Les frustrations des Tibétains

Le mécontentement populaire chez les Tibétains et le traitement que les autorités chinoises leur réservent semblent renforcer les tendances indépendantistes. Les Tibétains dans les régions éloignées sont assaillis par la hausse du coût de la vie et la difficulté à trouver du travail. Beaucoup de Tibétains ne parlent ni mandarin (la langue chinoise officielle) ni une langue tibétaine standardisée. En fait, il n’y a pas de langue tibétaine universelle à l’intérieur des frontières chinoises. Il existe quatre grands dialectes tibétains ainsi qu’une multitude de sous-dialectes locaux parfois incompréhensibles ailleurs. L’éducation n’est pas gratuite en Chine et, parfois, la seule éducation disponible gratuitement se fait en mandarin.

La formation dans les métiers est aussi difficilement accessible aux Tibétains. La plupart des hommes de métier sont des Han, l’ethnie majoritaire en Chine. Sans la connaissance du mandarin, les Tibétains se retrouvent au bas de l’échelle économique, ce qui crée de graves problèmes sociaux. Les politiques chinoises ont tenté d’y remédier, mais faute de connaissances du fonctionnement des économies locales, des particularités des régions et de leurs ressources humaines, elles ont lamentablement échoué et même exacerbé les inégalités sociales. Les Tibétains prospèrent seulement dans les régions limitrophes à celle du reste de la Chine ou le long des artères commerciales. C’est là où l’on retrouve l’élite tibétaine ainsi que les grands monastères qui offrent l’éducation traditionnelle en tibétain. C’est dans ces temples que les mouvements indépendantistes sont très forts.

Le rôle du dalaï-lama

Le dalaï-lama et ses compatriotes qui l’ont suivi en 1959 jusqu’en Inde continuent de former un gouvernement (le Kashag), qui n’a ni territoire ni population autre que les réfugiés à gérer. Le maître légitime du Tibet n’a d’autres armes que ses discours, son charisme et son infatigable énergie de lobbyiste. Ses ressources proviennent de sa population en exil, de ses disciples et partisans, et de l’argent obtenu par des livres pour lesquels il a collaboré. Les chefs des monastères bouddhistes qui sont installés en Inde appuient et diffusent ses idées et ses enseignements spirituels. Ils perpétuent donc le fonctionnement traditionnel des institutions politiques de l’ancien Tibet où les moines étaient aussi des fonctionnaires de l’État.

Le dalaï-lama maintient une influence très prononcée sur les populations tibétaines en exil autant que sur celles qui sont à l’intérieur des frontières chinoises. La plupart des Tibétains considèrent le dalaï-lama comme l’incarnation de la divinité bouddhiste (bodhisattva) de la sagesse. Il est aussi le seul qui peut réunir et tempérer toutes les factions incluant les plus extrémistes qui en appellent à la lutte armée contre l’envahisseur. Pour eux, il s’agit du seul moyen pour chasser les Chinois qui dominent toutes les institutions et qui dictent le développement de leur société.

Pour les Tibétains, les Jeux olympiques offrent une opportunité en or pour faire connaître leur cause. Il n’est donc pas étonnant de voir des militants ainsi que les membres des communautés tibétaines profiter d’une telle occasion. En revanche, il est regrettable de voir l’attitude du gouvernement chinois qui continue d’utiliser la méthode forte et, ainsi, prendre en otage le peuple tibétain.

Il n’est pas inconcevable que le dalaï-lama puisse devenir un allié de la Chine si les autorités communistes ouvraient la porte au dialogue. La reprise de pourparlers sérieux entre Pékin et le dalaï-lama constituerait un gain politique remarquable pour rehausser l’image terne du gouvernement chinois et instaurer une plus grande confiance au niveau international. La balle est maintenant dans le camp chinois.


L’auteur est professeur adjoint au Département des sciences religieuses de l’Université Con-cordia à Montréal. Il enseigne les religions chinoises et tibétaines. Il mène des recherches de terrain au Tibet depuis 1991.

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