La décriminalisation des femmes prostituées : vers une réelle égalité des sexes ?

mardi 3 juillet 2012, par Anne Gabrielle Ducharme

La législation en matière de prostitution est un choix de société. Il n’appartient pas aux tribunaux le droit de dicter les lois dans ce domaine. C’est du moins l’opinion du Conseil du statut de la femme sur la question. Dans un document paru le 31 mai dernier, le Conseil prend une position claire : la décriminalisation des prostituées presse si l’on veut cesser de faire payer les plus vulnérables.

Selon le document du Conseil du statut de la femme, la société québécoise ne peut continuer de se considérer comme égalitaire tant que le travail du sexe continuera à être aussi largement banalisé. En d’autres termes, tant qu’une aussi grande marginalisation des travailleuses du sexe aura lieu, l’égalité ne pourra être atteinte.

Comment changer les choses : les propositions du Conseil du statut de la femme

L’intervention du Conseil cible des lacunes du droit actuel et préconise la modification de plusieurs articles du Code criminel. C’est par exemple le cas de l’article 210, qui interdit la tenue d’une maison de débauche. Pour en être reconnu coupable, le simple fait d’être propriétaire du lieu n’est pas suffisant. Il faut être impliqué dans l’organisation de la chose.

Or, dans les faits, ces propriétaires nient majoritairement tout lien avec les activités criminelles ayant cours dans leur établissement. Les premières à subir les conséquences juridiques sont souvent les femmes prostituées et non pas les clients ou les proxénètes. Ce genre de cas illustre la nécessité de décriminaliser les travailleuses du sexe. Maintenir le statu quo ne fait que les stigmatiser, en leur donnant des peines d’emprisonnement et des amendes vertigineuses.

Le Conseil du statut de la femme propose également des changements aux articles 213, qui à trait à l’interdiction de la communication entre travailleuse du sexe et le client potentiel, et 211, visant l’interdiction du transport d’individus vers une maison de débauche. Toutefois, le statu quo est recommandé pour l’article 212 qui se rapporte à l’interdiction du proxénétisme. Ces changements s’inscrivent tous dans une même logique : criminaliser le client et non pas la femme prostituée.

Toujours dans la même veine, le document souligne la nécessité de sensibiliser les corps policiers face aux interventions concernant le travail du sexe, ainsi que l’abolition de la promotion de services sexuels dans les petites annonces, les médias électroniques ou n’importe où dans l’espace public.

D’un point de vue social, on conseille l’investissement de plus de ressources financières de la part du Ministère de la Condition féminine dans la réinsertion sociale de travailleuses du sexe. On parle entre autres d’aider d’ex-prostituées à se procurer un logement et à retrouver de saines habitudes de vie. La prévention et la mise sur pied d’organismes de terrain sont aussi des mesures à prendre. Pour débanaliser la prostitution, et ce, dès le plus jeune âge, on propose également des programmes éducatifs démontrant les préjudices qui découlent de ce domaine.

Le point de vue des groupes féministes

Selon, Diane Matte, l’une des fondatrices de l’organisme féministe CLES (Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle), ces mesures n’ont en fait qu’un seul but : faire comprendre que « la prostitution est un crime contre les femmes et non contre les mœurs. » Elle maintient que la société patriarcale dicte toujours le rôle de la femme dans notre société. Son corps et sa sexualité sont encore grandement exploités. Des évènements sportifs tel que le Grand prix de formule 1 le démontrent d’ailleurs, par les nombreux services d’escortes offerts dans les hôtels du centre-ville de Montréal.
C’est pourquoi la CLES se qualifie d’abolitionniste, soit contre toute forme d’exploitation sexuelle ou de prostitution. L’organisme appuie le Conseil du statut de la femme dans ses démarches, en prônant aussi la décriminalisation des femmes prostituées.
D’autre part, les féministes ne sont pas unanimes à ce sujet. Certaines sont « pro-travail du sexe ». Ces féministes, Diane Matte les qualifie de néo-libérales considérant la logique marchande avec laquelle elles résonnent ; le corps de la femme peut être conçu comme un produit. Par contre, il ne faut pas « démoniser » ces féministes qui défendent avant tout la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent.

L’affaire Bedford

L’affaire Bedford représente à ce jour le plus récent avancement juridique sur la question de la prostitution au Canada. Son actrice principale est une femme d’une soixantaine d’années, ex-tenancière d’un « bordel ». Celle-ci s’est récemment fait arrêter en vertu l’article 210 interdisant la tenue d’une maison de débauche. Or, pour faire valoir son droit d’utiliser son corps comme elle l’entend, tout en dénonçant la loi en vigueur la qualifiant d’anticonstitutionnelle, Mme Bedford est passée en Cour supérieure d’Ontario ainsi qu’en Cour d’appel. Le dossier n’étant pas clos, l’affaire a été portée en appel le 25 avril dernier devant la Cour suprême du Canada.

Selon Rachel Chagnon, professeure à la faculté de droit de l’UQÀM et membre active de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), les deux décisions qui en découlent jusqu’à maintenant « protègent l’industrie du sexe et non pas les femmes prostituées ». La seule chose décriminalisée en Ontario est la tenue d’une maison de débauche. Les femmes travaillant dans la rue, elles, sont encore criminalisées. Le lieu joue donc un rôle primordial. Pourquoi ? Parce que se trouvant à l’intérieur d’une institution, les femmes prostituées seraient moins vulnérables à la drogue, à la violence et au racisme.

Pourtant, selon les organismes féministes abolitionnistes, une femme, qu’elle soit dans la rue ou dans une maison de débauche reste la même et les séquelles tout aussi grandes.

Selon Rachel Chagnon, la seule façon d’avancer dans le dossier de la prostitution au Canada est de « reconfigurer la perception que l’on a de la prostitution ». Cesser de juger la prostitution comme un crime face aux mœurs et commencer de le voir comme un crime face aux femmes. C’est une réelle réflexion de société qui doit avoir lieu, et ce, au plus vite.

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Crédit photo : Michel Gagnon

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