Pourtant, administration Bush affiche un triste bilan de ses quatre années au pouvoir : augmentation du chômage (deux millions d’emplois perdus), aggravation de la pauvreté parmi les minorités, explosion des frais de santé (plus de 20 %), etc. Et c’est sans compter la guerre que les Américains regardent chaque jour sur les écrans télévisés. Et pourtant, le président, qui avoue lui-même avoir mal estimé le bourbier irakien, reste en avance dans les sondages. Certes, tout le monde parle de la piètre performance du candidat démocrate John Kerry, mais est-ce que cela explique tout ? De toute évidence, la stratégie des Républicains lors du Congrès à New York, en août, a porté fruit. L’image d’une Amérique triomphante s’est alors imposée dans les foyers, tandis que le Congrès des démocrates, où Kerry a aussi triomphé, a échoué. Depuis, Bush apparaît comme le grand défenseur de l’American way of life.
La « révolution » conservatrice
Depuis plus de vingt ans, l’influence des conservateurs ne cesse de s’accroître, ce que le Parti démocrate ne voit toujours pas. En 1980, lorsque Ronald Reagan a été élu à la présidence, les conservateurs sont passés à l’offensive, et pas seulement à la Maison-Blanche. Des fondamentalistes religieux comme Pat Robertson et Jerry Falwell sont devenus des personnalités nationales. Les intellectuels de droite, tels Bill Bennett (auteur de The Book of Virtues), sont montés au front de ce qui allait devenir une véritable guerre culturelle aux États-Unis. Selon les conservateurs, les États-Unis ont été « pris en otage » par la « gauche » et les libéraux qui ont « imposé » leurs valeurs comme l’égalité entre les sexes, la discrimination positive envers les minorités, la défense du bien commun. C’est ce qui a provoqué, selon eux, un effondrement des « bonnes valeurs américaines », comme la famille, le travail, l’individualisme, la patrie.
Entre-temps, le Parti démocrate et ses alliés se sont affaiblis, notamment aux yeux d’une classe moyenne déstabilisée par les politiques néolibérales, et que les Républicains a su récupérer, surtout dans le sud et le Midwest du pays. Au lieu de répliquer, la présidence démocrate de Bill Clinton a elle-même viré à droite. Et ce faisant, les Démocrates se sont coupés de leur base traditionnelle (classes populaires, Afro-Amé-ricains, syndiqués, intellectuels, etc.). Peu à peu, c’est toute la culture politique du pays qui a basculé, au point où aujourd’hui, être « libéral » (de gauche) est une insulte, pour ne pas dire un crime. C’est cette situation qui, en grande partie, explique les problèmes de Kerry.
Les Démocrates se tirent dans le pied
Pour beaucoup de gens aux États-Unis, Kerry apparaît comme un homme arrogant, indifférent face aux multiples problèmes qui assaillent le citoyen moyen. De plus, il se présente mal, donne des réponses qui apparaissent trop compliquées, un peu comme le précédent candidat démocrate aux élections de 2000, Al Gore. Le contraste est très fort avec Bill Clinton, qui savait faire rire les gens avec son saxophone et ses blagues à double sens. Bush, pour sa part, rejoint son public avec son plain speak.
Les élections approchent à grands pas. Kerry est sur la défensive et il cherche à réorienter le débat, en faisant le lien entre le chaos irakien et les problèmes de l’économie américaine. Mais plusieurs observateurs estiment que tout cela manque d’éclat et n’empêche pas l’équipe Bush de dicter l’agenda. Lors des primaires démocrates (des élections internes aux partis qui déterminent qui sera le candidat), Howard Dean (sénateur du Vermont) n’avait pas mâché ses mots en traitant Bush d’apprenti sorcier. Une partie de l’électorat, notamment les jeunes, s’était sentie interpellée et on avait pensé, du moins pour un temps, que cela mettrait les Républicains au pied du mur. Mais les caciques du Parti démocrate ont jugé que Dean était trop radical et il a été écarté au profit de Kerry. Depuis, le candidat démocrate s’est empêtré. Surtout au début de la campagne, où il a parlé davantage du Vietnam et de ses exploits militaires que du bilan de l’administration Bush.
Pendant ce temps, le président remet cela. Il y a quelques jours encore, devant l’assemblée générale de l’ONU, il a réaffirmé la politique unilatérale américaine. « Nous avons raison et le reste du monde a tort. Si les gens nous critiquent, c’est qu’ils sont contre nous et contre la démocratie américaine. » En fait, le président sortant s’adressait au public américain, et non aux représentants du monde. Son discours, malheureusement, a encore porté.
Psychose
Le discours de la force est d’autant plus puissant que subsiste la psychose du terrorisme, alimentée par les nombreuses alertes rouges décrétées par le responsable de la sécurité intérieure, Tom Ridge. Devant la peur, les gens sont portés à appuyer le gouvernement et donc à se ranger derrière Bush. Beaucoup d’Américains n’ont pas confiance dans les capacités de Kerry de défendre l’Amérique.
D’ici quelques jours (30 septembre), un premier débat télévisé opposera Bush et Kerry. Cela pourrait faire une différence même si les analystes ne donnent pas beaucoup de chances à Kerry. Bush pourrait prendre l’avantage par ses réponses simples pour ne pas dire simplistes. John Kerry n’a pas été jusqu’à présent le grand bagarreur qu’on espérait, pouvant vaincre un président sortant, et la population a peur de s’opposer à Bush. Il se pourrait que le 2 novembre, le monde le en ait encore pour quatre ans avec George W. Bush, Donald Rumsfeld, et tous les autres néoconservateurs américains.