La continentalisation des économies du Canada et des États-Unis a été institutionnalisée par suite de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange bilatéral de 1989, puis renforcée et étendue au Mexique avec l’ALENA, en 1994. Depuis lors, pour le Canada, les échanges de part et d’autre des océans Atlantique et Pacifique devaient passer au second rang, comme en témoignent les principaux indicateurs de performance qui ont été affichés tout au long de ces années qui mettaient en évidence et en valeur l’accroissement des échanges dans l’axe Nord-Sud devant les échanges avec des partenaires situés sur d’autres continents.
Or, depuis un fatidique 11 septembre, la Guerre en Irak et la crise financière des années 2007-08, la continentalisation est entravée par trois tendances économiques lourdes, à savoir par la faiblesse de la reprise économique aux États-Unis mêmes, par la concurrence des exportations venues de la Chine et par le renchérissement du dollar canadien. Face à ces contraintes, le gouvernement du Canada a donc dû revoir sa stratégie de développement économique de trois façons.
En premier lieu, dans le prolongement d’une option continentale à la fois incontournable et inéluctable, la priorité a consisté à maintenir les relations commerciales les plus étroites possibles avec le voisin américain. Pour ce faire, il a fallu plier devant les exigences sécuritaires imposées aux frontières et compenser les baisses des exportations dans le secteur manufacturier en favorisant directement et indirectement l’accroissement des exportations de richesses naturelles. Cette option devait entraîner une révision profonde de l’économie politique canadienne qui avait reposé, depuis la Deuxième Guerre, sur la croissance du secteur manufacturier et qui reposerait désormais sur la croissance du secteur énergétique et sur une économie de la rente, c’est-à-dire sur une économie fondée sur des entrées régulières de recettes liées à l’exportation de pétrole, de gaz, d’électricité ou de minerais. Bien sûr, l’économie de la rente est une stratégie tout aussi défendable que n’importe quelle autre, à la condition que la ressource ne soit pas exportée à l’état brut et donc que les pouvoirs publics puissent être en mesure d’en accroître les retombées en suscitant et en favorisant la transformation de la ressource au pays même.
En deuxième lieu, conformément à Sa stratégie commerciale mondiale pour l’année 2009, le gouvernement a poursuivi une politique de diversification des échanges en négociant en parallèle plusieurs instruments avec des partenaires situés de part et d’autre des océans Atlantique et Pacifique. C’est ainsi qu’il parachève la négociation d’un Accord économique et commercial global avec l’Union européenne, qu’il explore la possibilité de négocier un accord de libre-échange avec le Maroc et un partenariat économique global avec l’Inde, qu’il a ouvert un dialogue commercial avec le Japon, sans oublier, bien sûr, d’apporter un soutien indéfectible au redémarrage toujours reporté des négociations multilatérales au sein de l’OMC.
En troisième lieu, prenant acte du fait que l’avènement de chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale constituerait le facteur clé des changements économiques mondiaux et que les chaines en question représenteraient désormais un nouveau modèle commercial appelé « commerce intégratif », le gouvernement a développé une stratégie articulée autour des notions de portes et de corridors commerciaux. Il en a ainsi désigné trois : une pour l’Atlantique, une pour le Pacifique et une pour l’intérieur du continent. Une quatrième est également envisagée pour l’océan Arctique. L’Ontario, le Manitoba et le Québec ont été affectés à la porte continentale.
La question se pose alors de savoir quels sont les avantages et les inconvénients de ce positionnement pour l’économie du Québec dans son ensemble, ainsi que pour ses villes riveraines comme Montréal et Québec. Et, de manière encore plus large, la question se pose surtout de savoir comment le gouvernement du Québec fait sienne, à quelles conditions et en engageant quels compromis, la nouvelle démarche du gouvernement fédéral en matière d’économie politique à l’échelle continentale, d’une part, comment il pare aux stratégies mises en place par les autres gouvernements provinciaux et leurs métropoles, d’autre part.
Pour le moment, englués dans d’inextricables arguties identitaires intérieures, le cadre géoéconomique et stratégique que nous imposent les autorités fédérales, tout comme les stratégies adoptées par les provinces et les métropoles provinciales, sont en train de tisser un réseau dense de filières de production intégrées à l’échelle globale dont les acteurs économiques et politiques d’ici seront, à moins d’un sursaut collectif face à ce qui se trame actuellement à l’extérieur du Québec, à toutes fins utiles exclus. Entre temps, le prince charmant contemple son nombril.
(*) Le présent article est tiré d’un petit livre à paraître cet automne aux Presses de l’Université Laval sous le titre : Le contexte géopolitique et les stratégies de développement au Canada, au Québec et à Montréal aujourd’hui.
Photo Flikr : Jpellgen