Selon la version officielle vite adoptée à Londres, où la rencontre Bush-Blair fut assombrie par la déflagration du consulat britannique, tout mènerait à la nébuleuse al-Qaïda. Ce portrait, toutefois, pourrait être en partie factice. La cible principale des agresseurs n’était vraisemblablement ni la communauté juive, ni la Grande-Bretagne, mais le gouvernement du premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Quelques semaines avant les attentats, la Turquie connaissait une montée de la violence verbale et symbolique. Le président de la République, Ahmet Necdet Sezer, a déclaré qu’aucune femme portant le hidjab ne serait admise à la réception officielle célébrant le 80e anniversaire du pays. Même le premier ministre y est allé sans son épouse. Début novembre, une femme portant le voile a été refusée par le juge du procès auquel elle était la défenderesse, pour motif de lèse-laïcité. Le chroniquer turc, Ali Bulaç, y décela des similitudes avec les événements qui ont précédé le coup d’État militaire de 1997. Le premier ministre Necmettin Erbakan avait été renversé au profit d’un gouvernement de pacotille, voué à la sauvegarde de l’alliance entre la Turquie, les États-Unis et Israël.
À en croire le politologue Akif Emre, rejoint à Istanbul, Erdogan serait contraint de resserrer les liens avec ces deux partenaires, désormais massivement rejetés par la population. Son gouvernement serait obligé de renforcer le dispositif de sécurité et de surveillance, au prix de l’abandon des espoirs de démocratisation et d’ouverture qui l’ont porté au pouvoir. Une mesure qui fera le bonheur de l’ « État profond » - forces armées, grands médias et bureaucratie - qui gouverne la Turquie. Washington et Jérusalem n’en seront que ravis.
Après l’invasion de l’Irak, à laquelle la Turquie a refusé de participer, Paul Wolfowitz, l’architecte de la stratégie américaine au Moyen-Orient, avait incité les militaires turcs à « assumer leurs responsabilités ». C’est ce qu’ils seraient en train de faire.
Fred A. Reed